On disperse puis on concentre
Espaces naturels n°4 - octobre 2003
Jean-Pierre Thibault
Administrateur de la section française de l'Icomos
Quatre réflexions de bon sens, qui sont aussi quatre éléments de méthode, tels sont les premiers fruits du travail mené par Icomos-France. Depuis 1996 et à la demande du ministère de l'Environnement, des séminaires et colloques ont été organisés à la pointe du Raz (1997), en Arles (1999), à Carcassonne (2001).
1) Définir la capacité d’accueil. « On ne peut faire tenir deux litres dans une bouteille d’un litre » disait un intervenant à Carcassonne. Au-delà de cette remarque de bon sens, la capacité d’accueil est le nombre de visiteurs à partir duquel : • le site est physiquement dégradé • la vie de ses habitants perturbée • l’émotion du visiteur amoindrie.
Sa détermination résulte donc d’un débat associant scientifiques, population locale et enquêtes auprès des touristes. Elle peut conduire à contingenter le nombre de visiteurs et à trouver des solutions pour gérer la « file d’attente ».
2) Gérer un site naturel comme un espace clos. Un espace ouvert n’est pas infini : les lignes de crêtes d’une vallée, l’écrin d’un monument naturel, sont les cadres logiques de la capacité d’accueil, tout comme les murs de la Galerie des glaces ou de l’Alhambra. Dans les sites naturels, comme dans les lieux clos, la régulation des flux de visite nécessite de déterminer une (ou des) porte(s) d’entrée, un centre d’accueil, un itinéraire, une mise en scène, etc.
Définir la porte d’entrée (qui est aussi le point de rupture de charge entre modes de transports – voiture/piéton le plus souvent) est une phase délicate, puisqu’il s’agit souvent de modifier sa localisation (recul par rapport au site) ou son aménagement (cf. schémas p.12).
3) Disperser et concentrer les visiteurs. Un Grand site étant un « site piétiné », il faut que les touristes disposent d’un espace de piétinement plus vaste, soit par un accès plus long (à la pointe du Raz, on recule le parking d’un kilomètre), soit par un périmètre élargi à des annexes (au pont du Gard, les autres vestiges de l’aqueduc). Mais une autre attitude est possible : concentrer les visites sur ce qu’on peut montrer sans dommages excessifs ; ce « pot de miel » (honey-pot), doit être à la fois attractif, significatif du lieu visité, et peu nuisible pour celui-ci. Le confort d’un sentier évite que l’on piétine ses abords…
En fait, l’aménagement combine les deux démarches : on disperse et on concentre ; à Gavarnie, le village aux espaces publics améliorés et son somptueux arrière-plan captent l’essentiel de la foule ; les cirques voisins, et les multiples sentiers du Parc national accueillent un public moindre, dans des conditions d’émotion préservée.
4) Reconnaître la fonction de « directeur de site ». Au-delà de l’entretien des équipements d’accueil, la coordination des intérêts en cause est primordiale. L’opération Grand site a souvent un rôle déclencheur dans la mise en gestion, mais elle n’est logiquement jamais finie. Les équipements vivent, le milieu réagit, les comportements changent. Il faut modifier le tracé d’un sentier, redéfinir l’accueil, réécrire les dépliants, etc. La réactivité du gestionnaire est donc le facteur clé du succès. La reconnaissance de cette fonction a donné lieu à une première réunion de directeurs fin 1999 puis à la création du Réseau des Grands sites de France (RGSF) une année plus tard.
Sept années après, la réflexion aborde aujourd’hui les fonctions économiques et sociales des Grands sites : retombées financières, sociétés locales et valeurs patrimoniales d’échelle régionale, nationale ou mondiale : une illustration de plus de la nécessité planétaire du développement durable.