Habitats

Mettre à profit une banque de graines

 
Études - Recherches

Les mares temporaires méditerranéennes abritent une biodiversité exceptionnelle et très menacée. Les espèces inféodées à ces milieux s’expriment au gré de mises en eau hivernales et de longs assecs estivaux. Les espèces annuelles survivent à ces assecs sous forme de graines. Mieux comprendre le fonctionnement des banques de graines permet d’ajuster la gestion conservatoire de ces biotopes singuliers.

Lythrum thesioides, dont les fleurs sont associées par deux (caractère géminé). © Mario Klesczewski

Lythrum thesioides, dont les fleurs sont associées par deux (caractère géminé). © Mario Klesczewski

Mises en eau brusques et aléatoires, assèchements durant des années entières, les mares temporaires méditerranéennes sont l'illustration parfaite de l’influence du climat méditerranéen sur les communautés végétales. Les conditions de vie aussi contrastées que contraignantes induisent des cortèges hautement spécialisés. Bon nombre des espèces végétales typiques de ces zones humides ponctuelles y survivent grâce à une stratégie d'évitement : elles ne s'expriment que pendant les quelques mois suffisamment humides, et passent les périodes sèches sous forme de propagules contenues dans le sol. La banque de graines constituée au cours des saisons favorables assure la persistance de la population. La réussite d'une gestion conservatoire de ces enjeux cachés dépend fortement de la connaissance de ces banques de graines. Deux éléments paraissent alors primordiaux : quel facteur déclenche la germination, et quelle est la répartition spatiale des graines ?

UN CAS D'ÉCOLE : LA RARISSIME SALICAIRE FAUX-THÉSION (LYTHRUM THESIOIDES)

Malgré son aire de répartition très vaste, allant du Kazakhstan à la France, en passant par l’Iran, la Hongrie, l’Italie et Israël, Lythrum thesioides n’a que très rarement été observé au cours des deux siècles qui ont suivi sa description en 1808. Dans l’immense majorité des stations, l’espèce n’a été observée qu’une seule année. Seules trois zones humides du Gard ont été le théâtre d’observations répétées, mais souvent longuement espacées dans le temps, illustrant la très probable présence d’une banque de graines persistante. Ces populations « fantômes » ne s'expriment ainsi que certaines années sous certaines conditions et peuvent rester dormantes pendant des décennies. Problématique fascinante pour les scientifiques, c’est néanmoins un cassetête pour les gestionnaires.

C’est dans les Costières de Nîmes que cette espèce protégée au niveau national possède sa principale population actuelle. Découverte en 2010 au cours de prospections réalisées dans le cadre d’une étude d’impact, la population a bénéficié d’une mesure d’évitement pour tenter de la préserver. De plus, en raison de la rareté de l’espèce et du manque de connaissances sur son écologie, une mesure d’accompagnement a été mise en place, sous forme d’une thèse. Cette dernière était d'autant plus justifiée qu'il s'agissait de l’unique population actuelle connue dans le monde, et que la zone humide qui l’héberge est fortement dégradée. Le défi était donc de comprendre la niche de germination de cette espèce afin d’élaborer un plan de gestion pour le site.

UNE ÉTAPE CRUCIALE : LA GERMINATION

Deux facteurs clés conditionnant la germination de Lythrum thesioides ont été identifiés : l'espèce germe à une température relativement élevée, de 25 °C, préférentiellement après une période prolongée d’inondation dans une eau à température fraîche (inférieure à 15 °C). Ces conditions de germination témoignent d’une niche très particulière, s’éloignant des conditions classiques des espèces de mares temporaires méditerranéennes. L'espèce nécessite donc une inondation hivernale prolongée, et une exondation qui intervient tardivement, soit dans les Costières de Nîmes entre mai et juin. De toute évidence, ces exigences plus que particulières expliquent pour partie l'extrême rareté de cette salicaire.

Mare temporaire méditerranéenne (Montblanc, Hérault). © A. Gazaix

OÙ SE CACHENT LES GRAINES ?

L'identification des conditions optimales de germination a par la suite permis la cartographie de la banque de graines sur sa principale station. À cette fin, des échantillons de sol ont été prélevés pour détecter la présence de graines viables en exposant le sol aux conditions de germination précédemment identifiées comme optimales. La zone humide concernée est aujourd’hui faiblement inondée, et seuls des fossés creusés par l’homme assurent une inondation prolongée et une exondation tardive favorable à l’espèce. Toutefois, l’étude de la banque de graines a permis de mettre en évidence que des graines sont bien présentes en dehors de ces fossés, malgré le fait que peu ou pas de plantes y soient observées. La détection de plusieurs de ces « poches » de graines permet ainsi d'optimiser les futurs travaux de restauration et de gestion conservatoire.

L’étude de la germination apparait ici fondamentale pour la conservation d’espèces à banque de graines persistantes. Cela permet en effet à la fois d’identifier la niche écologique de ces espèces, mais assure également la possibilité de localiser les graines viables du sol de façon optimale.

L’étude en parallèle d’autres espèces de salicaires annuelles a permis de mettre en évidence d’importantes différences en matière de niches de germination, illustrant l’intérêt d’une étude spécifique approfondie. Bien qu’un tel travail soit chronophage, il apparait capital pour des enjeux de conservation aussi forts que le Lythrum thesioides. Reste à signaler que les mesures de gestion mises en oeuvre sur le site favoriseront probablement l’ensemble des espèces patrimoniales typiques de l’habitat prioritaire de mares temporaires méditerranéennes. Citons pour exemples la Salicaire à trois bractées (Lythrum tribracteatum) et le Scirpe couché (Schoenoplectus supinus). Le suivi annuel du cortège, programmé et financé dans le cadre du projet de restauration du site, permettra d’évaluer la pertinence des actions de gestion..

Fossé qui parcourt la zone humide hébergeant la principale population de Lythrum thesioides dans les Costières de Nîmes. © A. Gazaix