Le dossier lu par... Thierry Lecomte

 
Le Dossier

Thierry Lecomte, docteur en biologie des organismes et des populations, www.courtilsdebouquelon.wordpress.com

Thierry Lecomte

À l'heure où les projets de loi et d'Agence de la biodiversité font florès, il est grand temps de songer aux milieux ouverts, lesquels, de la plaine à la montagne, des situations les plus humides aux plus sèches, abritent des milliers d’espèces – banales ou patrimoniales – mais qui déterminent des écosystèmes originaux tant par les paysages produits que par les fonctionnalités associées. Entre le « diktat de la charrue » qui élimine nombre de prairies labourables et la déprise agricole où se boisent spontanément ou artificiellement les terres abandonnées par l’élevage, les milieux ouverts de toute nature constituent des espaces en forte régression.

Les herbivores sauvages ont pratiquement en tous temps et tous lieux joué un rôle antagoniste à la dynamique de la végétation qui tend à remplacer l’herbacé par le ligneux ; la naturalité se présentant alors comme une mosaïque spatio-temporelle incluant tous les stades des dynamiques de la végétation y compris les milieux ouverts. Le remplacement progressif des herbivores sauvages autochtones par des herbivores domestiques compense cette disparition en rééquilibrant, d’une certaine façon, la donne entre milieux boisés fermés et milieux herbacés ouverts même si le partage du territoire entre forestiers et agriculteurs a quelque chose de tout à fait artificiel.

C’est ainsi que la gestion des herbivores à travers l’activité d’élevage est devenue une préoccupation majeure pour la préservation durable de la biodiversité et ce numéro d’Espaces naturels rend compte de divers questionnements actuels sur le métier d’éleveur, acteur incontournable de la préservation des milieux ouverts dès lors que l’on raisonne élevage sur des espaces naturels, en extensif et avec le minimum d’intrants.
Ce métier est sans doute insuffisamment reconnu, il passe par des connaissances très approfondies tant de l’animal que de son espace de vie mais aussi, de plus en plus, de tous les arcanes administratifs, économiques, sanitaires, réglementaires qui alourdissent, de façon souvent exagérée, le métier d’éleveur.

L’herbivore co-évolue de façon plurimillénaire avec son espace de vie, il en est devenu l’espèce clef de voûte qui conditionne l’existence de milliers d’espèces associées à sa présence directe ou indirecte. Si certaines espèces emblématiques de fleurs, de papillons, de coléoptères scarabéidés ont la part belle auprès des naturalistes, certains groupes sont moins connus tels les quelques centaines de champignons fimicoles attachés aux fécès des herbivores ou déprisés comme l’ensemble des parasites des cheptels toujours perçus par les côtés négatifs alors que leur action est peut-être plus complexe. Ainsi, la décriée grande douve du foie pourrait, selon des études vétérinaires récentes, intervenir comme protecteur vis-à-vis de la tuberculose bovine, maladie autrement plus grave que la fasciolose due aux douves...

En donnant ainsi la parole au monde de l’élevage, Espaces naturels témoigne de son rôle incontournable en faveur d’une biodiversité particulièrement menacée.