Mon beau miroir… Suis-je un vrai professionnel ?

 

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Le Dossier

Véronique Petit-Uzac
Aten

 

Les professions de la nature se façonnent, des référentiels se créent, une identité, des valeurs et une culture commune s’érigent. Depuis trente ans, tout change. Mais, aujourd’hui, qu’est-ce qu’un professionnel ?

Qu’est-ce qu’un professionnel ? Il y a des milieux où la question ne se pose pas. Regardez - au hasard - les milieux sportifs ; la notion de professionnalisme est généralement associée à l’argent : le « pro » touche un salaire d’autant plus important que ses performances sont reconnues. Mais chez nous, dans les espaces naturels, un rapide coup d’œil sur la grille des salaires suffit à démontrer que le critère n’est pas pertinent. D’ailleurs, si être professionnel reposait sur la reconnaissance des performances, on ne manquerait pas de s’interroger pour savoir qui juge les résultats. La direction régionale de l’environnement pourrait-elle évaluer la conformité de nos bilans et résultats en les comparant aux objectifs de nos plans de gestion ? L’idée semble saugrenue.
Alors quoi ? Comment définir un professionnel de la nature ? Pas simple ! Une qualification ou un diplôme ne permettent pas non plus de désigner qui est professionnel puisque cet état suppose de s’être confronté aux défis du terrain. Le jeune doit transformer son capital de savoir en compétences professionnelles. Son bagage de formation initiale n’est qu’une promesse d’outils et de méthodes à inventer pour les adapter à son territoire. Dans nos métiers, chacun doit construire sur son site, en puisant des modèles dans l’expérience des autres ou dans la bibliographie, avec un sérieux risque d’appliquer des recettes aux succès mitigés, ou encore de s’enfermer dans la reproduction : « On a toujours fait comme ça, ça marche bien. »
Peut-on s’engager dans une troisième voie : celle de l’identité professionnelle reposant sur un ensemble de compétences reconnues ? L’idée est intéressante mais la base est fragile puisque, dans nos métiers, la notion de compétence est liée à la maîtrise des situations. Elle risque donc d’être remise en cause par n’importe quel aléa. Le professionnel reconnu serait celui qui reste compétent malgré les changements.
Et si la question n’était pas « d’être professionnel » mais de le devenir ou le rester ? C’est-à-dire d’appréhender les choses du point de vue de la capacité d’évolution et d’adaptation. L’idée est intéressante puisque notre milieu professionnel est en construction et, qu’à ce titre, il connaît un permanent changement. On pourrait alors envisager le professionnalisme comme une capacité à participer à la construction d’un « système professionnel » des espaces naturels avec ses repères, ses références, voire ses codes.
Serait « pro » de la nature celui qui serait capable de questionner sa pratique, de partager ses questions, ses solutions, ses réussites et ses échecs ; celui qui contribuerait ainsi à la constitution d’un savoir-faire professionnel via, par exemple, des répertoires de bonnes pratiques ; en attendant que les scientifiques théorisent cette matière en systèmes ou méthodes.
L’exigence première du professionnalisme serait donc de penser son expérience, de la transformer en informations disponibles pour d’autres professionnels ou aspirant à l’être. Et pour cela, de se donner la peine de participer à des travaux collectifs, surtout s’ils sont innovants ; et de faire appel à l’expertise et au jugement collectifs qui permettent de critiquer les analyses, de décortiquer les résultats et de détecter ainsi les pratiques porteuses d’avenir. Ce professionnalisme est niché dans la critique des résultats plus que dans des réussites spectaculaires.

En savoir plus
Penser son expérience, une voie vers l’auto-formation, J. Mezirow, Chronique sociale, 2001.
« L’ingénierie de la professionnalisation », Actualité de la formation permanente n° 200, D. Cristol, Centre Inffo, 2006.