Science

La recherche, indispensable à la gestion

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

Le Dossier

De la prévention au contrôle et à la restauration, la recherche apporte son appui à la gestion des espèces exotiques envahissantes. Panorama des différents domaines d’intervention et applications. 

Chercheur effectuant des prélèvements - Crédit : SPYGEN

Un chercheur effectue des prélèvements pour l'étude de l'ADN environnementale (ADNe), méthode de recherche innovante utilisée dans la gestion des EEE. - Crédit : SPYGEN

Bien que les premières études remontent à Darwin, ce sont les 15 dernières années qui ont vu un accroissement significatif de la production scientifique parallèlement à l’accroissement des invasions et des inquiétudes des acteurs des territoires concernés. La gestion des EEE a donc pu bénéficier de la recherche scientifique et ce, sur différents aspects.

PRÉVENTION

Les gestionnaires l’ont expérimentée et les chercheurs l’ont formalisée : la plus efficace des mesures est la prévention, au mieux en évitant l’introduction, à défaut en intervenant rapidement après l’arrivée de l’espèce. De nombreux chercheurs ont étudié ainsi la possibilité d’établir un portait type de l’EEE : croissance, reproduction, etc. Mais la diversité des cas de figure fait que cette approche s’avère trop simpliste. Les chercheurs ont donc intégré une vision plus dynamique en s’intéressant aux interactions entre l’espèce et le milieu récepteur, certains écosystèmes présentant des caractéristiques naturelles ou anthropiques pouvant plus ou moins faciliter les invasions. Ces connaissances scientifiques ont donné naissance à de nombreuses méthodes « d’analyses de risques » permettant d’identifier les espèces ayant les plus fortes probabilités de s’implanter et parmi celles-ci, celles susceptibles d’avoir un impact sur la biodiversité et les activités humaines. L’une des plus connues est la Weed Risk Assessment développée afin d’identifier les végétaux invasifs en Australie ; elle est basée sur 49 questions relatives à l’histoire, la biogéographie, l’écologie et la biologie de l’espèce. Les chercheurs ont aussi proposé des modèles dits « de niche » afin de projeter les aires géographiques favorables à court ou moyen terme à l’implantation d’espèces exotiques en modélisant leurs préférences climatiques.

CONTRÔLE ET RESTAURATION

Une fois l’EEE établie dans son nouvel environnement, son extirpation devient plus difficile et il faut plutôt envisager un contrôle des effectifs. Pour ce faire, l’étude de la biologie et de l’écologie de l’espèce permet de cibler les périodes ou stades d'intervention les plus pertinents. À titre d’exemple, on peut citer la mise au point de biocides encapsulés (« Biobullet ») visant à contrôler les populations de Moule zébrée. De la même façon qu’une invasion doit aussi s’analyser du point de vue du milieu, des solutions de gestion peuvent émerger via des mesures de restauration (ou de non dégradation) des fonctions de l’écosystème. Les interactions entre celui-ci et l’EEE doivent ainsi faire l’objet d’une recherche approfondie afin de proposer des scénarios de gestion optimisant les chances de contenir la prolifération d’EEE tout en limitant ses effets sur le milieu. Les chercheurs s’intéressent notamment à l’évolution des écosystèmes envahis et leurs capacités à maintenir certains services écosystémiques.

OUTILS OPÉRATIONNELS

Les productions de la recherche apportent ainsi des éléments de réponses le plus souvent sous la forme de publications scientifiques. Cependant, la connaissance seule ne peut satisfaire les besoins des gestionnaires : le développement d’outils opérationnels est indispensable. Il peut s’agir d’outils de prévention, comme des méthodes d’analyse de risques, ou d’outils de surveillance comme l’ADN environnemental ou la télédétection. L’une des premières applications de l’ADNe a été le suivi d’une campagne d’éradication de la Grenouille taureau dans le Sud-Ouest : cela a permis de mettre en évidence la présence de l’espèce sur des sites gérés, alors que les méthodes classiques n’avaient rien détecté. Cela concerne aussi la mise au point de méthodes de contrôle des effectifs comme la lutte biologique, qui a été utilisée avec succès en Polynésie française contre le miconia à l’aide d’un agent pathogène.

SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES (SHS)

La recherche scientifique ne concerne pas uniquement la biologie ou l’écologie et dans le domaine de la gestion des EEE, les SHS sont susceptibles d’apporter des connaissances pertinentes. Les études des interactions entre les EEE et notre société, des questions de perceptions ou d’acceptation comme sur les relations entre acteurs impliqués sur ces questions, peuvent apporter un éclairage décisif à la réussite de la gestion des EEE. En Italie, un plan d’éradication de l’Écureuil gris s’est vu bloqué par des associations de défense des animaux ; une analyse préalable du jeu d’acteurs et de la perception du public aurait pu éviter un tel échec. L’évaluation des coûts économiques des impacts des EEE et des mesures de gestion se révèle être particulièrement pertinente comme outil d’aide à la décision. L’estimation des coûts dus aux dommages et au contrôle des EEE en Europe à plus de 12,5 milliards par an a probablement été décisive dans l’adoption du règlement européen relatif à la gestion des EEE (cf. article de Marjolaine Frésard, université de Bretagne occidentale, paru dans Espaces naturels n°54, p.44-45 : « L’économie au service de la gestion des invasions biologiques »). La recherche scientifique a un rôle crucial à jouer en apportant des éléments de réponse à la question des invasions biologiques, en complément d’autres actions tout aussi indispensables. Pour qu’elle puisse jouer pleinement son rôle, il est nécessaire d’apporter des moyens financiers et humains à la fois pour produire des résultats et surtout pour assurer leur transfert vers les utilisateurs finaux.