Haut-Rhône

Sauver le peuplier noir

 

Espaces naturels n°40 - octobre 2012

Gestion patrimoniale

Carole Desplanque
Conservatrice de la RN du lac Luitel
Olivier Forestier
Pépinière forestière de l’État de Guémené Penfao
Marc Villar
Inra Orléans

La préservation de la diversité génétique passe dans le Haut-Rhône par la réimplantation d’un arbre emblématique des forêts alluviales.

En 1990, sous l’impulsion de l’Europe, l’État français met en place un programme de conservation des ressources génétiques des principales espèces forestières. Le peuplier noir, arbre emblématique des forêts alluviales, est identifié espèce prioritaire. Plusieurs menaces sont déterminées. La première correspond à l’altération, la fragmentation et la réduction de son habitat, engendrées par le développement de l’agriculture et des activités humaines. La deuxième est liée à la pollution génétique potentielle (via pollen et graines) depuis le compartiment cultivé, largement représenté sur le territoire. Ce compartiment comprend les plantations de peupliers hybrides et également les plantations d’ornement dominées par le peuplier d’Italie. Les peupliers noirs possèdent de multiples atouts. Atout écologique tout d’abord, vis-à-vis des nombreuses espèces qu’ils hébergent. Rôle fonctionnel également : ils permettent la fixation des berges des rivières et l’épuration des eaux de la nappe alluviale grâce à un chevelu racinaire développé.

La réserve naturelle des îles du Haut-Rhône constitue un lieu potentiel d’accueil pour la conservation de l’espèce puisqu’elle abrite déjà le peuplier noir dans des habitats naturels de forêts alluviales présents et reconnus comme prioritaires par la directive Habitats. Localement, cette espèce est en outre un témoin de l’histoire administrative et paysagère. Alors qu’au 19e siècle, les limites territoriales s’effacent à chaque crue du Rhône, les communes fixent leurs frontières en les matérialisant par des alignements de ces arbres, communément appelés îlards (voir encart). L’essence présente également des atouts économiques et de nombreux usages. Tombé en désuétude, son bois fut longtemps une ressource locale naturelle abondante utilisée pour la construction. Certaines maisons anciennes du Bugey possèdent toujours une charpente ou un plancher de peuplier noir qui résiste bien aux attaques d’insectes pourvu qu’il soit au sec.

Mais si tout le monde convient qu’il faut préserver la diversité génétique des espèces locales, le chemin pour y parvenir est plus sinueux. Dans le Haut-Rhône, l’occasion de préserver le peuplier noir se précise lors de la transformation de la réserve naturelle volontaire en réserve naturelle régionale. Le plan de gestion prévoit pour les îles des Molottes et des Tonkin, situées dans le secteur d’intervention à but conservatoire, de terminer l’exploitation des peupliers de culture plantés dans les années 1980 pour les remplacer soit par de la forêt s’implantant naturellement, soit par certaines espèces alluviales tel le peuplier noir.

Patrimoine génétique. La première étape vers la conservation a nécessité d’identifier la pureté spécifique des vieux individus. En effet, il existe un réel problème d’appauvrissement de l’espèce dû à l’hybridation avec le peuplier d’Italie, arrivé au retour des campagnes menées par Napoléon. Idem avec les peupliers hybrides développés pour la populiculture (1) intensive à partir des années 1950. Heureusement, le peuplier noir est bien présent sur certaines portions des îles de la Réserve naturelle régionale des îles du Haut-Rhône, notamment celles des Molottes, des Noyers et des Tonkin. Dans ces secteurs, les formations végétales en phase d’atterrissement gardent encore des caractéristiques des saulaies-peupleraies à saule blanc et peuplier noir. À partir de 2007, des rameaux sont donc récoltés sur cinquante vieux peupliers noirs des îles. Cette collecte permet d’étudier et de conserver du matériel génétique issu d’individus sauvages âgés, dont l’installation est antérieure à l’arrivée des peupliers de culture et du peuplier d’Italie (variété ornementale au port fastigié). Le matériel végétal prélevé est envoyé à la pépinière forestière de l’État de Guéméné Penfao (Loire-Altantique) pour sa multiplication végétative par bouturage et sa caractérisation génétique. L’intérêt de récolter et de multiplier ces ressources génétiques est double. En premier lieu, le peuplier noir sauvage peut jouer un rôle privilégié dans les programmes d’amélioration des peupliers cultivés. Par ailleurs, la diversité génétique que renferme la peupleraie sauvage peut apporter aux hybrides cultivés sa rusticité (vis-à-vis des conditions édapho-climatiques), sa résistance au chancre bactérien et au virus de la mosaïque, sa moindre sensibilité au champignon Marssonina brunnea et sa grande aptitude au bouturage.

Retour sur la terre des ancêtres. Au printemps 2009, les boutures sont transférées chez deux pépinières privées des Avenières, pour l’élevage de ces plants pendant deux ans (via un contrat d’élevage). En mars 2011, les plants sont installés sur une parcelle de la commune des Avenières antérieurement plantée de peupliers cultivars exploités en 2007. Afin de préparer le terrain, les souches et rémanents de la coupe ont été broyés en 2008 dans le cadre du projet Life Nature et territoires. C’est ainsi que 431 plançons sont plantés sur 2,86 hectares. La trace de leur identité est consignée dans une base de données cartographiques. Outre le financement de la région Rhône-Alpes, le chantier de cette plantation conservatoire a bénéficié d’une aide complémentaire attribuée par la commune des Avenières et la compagnie nationale du Rhône (CNR).

Perspectives. Il est intéressant d’observer les rebonds suscités par l’action conservatoire engagée sur la réserve. Ainsi (dans le cadre d’un contrat Natura 2000 cette fois), la direction régionale de Belley de la CNR envisage cette année le même type d’actions sur les territoires qui lui sont concédés. Elle a également entrepris de développer des boutures dans ses propres pépinières. La commune de Brégnier-Cordon a elle aussi signé un contrat Natura 2000 et réalisé, début 2012, une plantation d’un hectare de peupliers noirs. Enfin, le Syndicat du Haut-Rhône qui regroupe les communes riveraines du Rhône envisage de porter de telles actions dans un plan en faveur de la biodiversité (2011-2015). Un volet sera dédié à la gestion intégrée des boisements naturels et artificiels de la plaine alluviale dont la finalité est, d’une part la préservation des peuplements indigènes existants et, d’autre part, la sensibilisation des propriétaires (publics et privés) pour la renaturation ou la mise en œuvre de modalités de gestion alternative des peuplements artificiels. Nul doute que le peuplier noir, ayant conquis déjà bon nombre d’esprits devrait désormais se perpétuer dans la région du Haut-Rhône. •

En savoir plus : http://peupliernoir.orleans.inra.fr

1. Culture du peuplier.