Indo-Pacifique

Des solutions locales pour les aires marines

 
Vu ailleurs

Cyrielle Randrianarivony,  écologue. rojo.cyrielle@gmail.com

Depuis près de vingt ans, sur le pourtour des mers tropicales, du Pacifique à l'océan Indien, des communautés côtières ont décidé de prendre leurs responsabilités en gérant leurs propres ressources naturelles. Organisées en réseau, ces aires marines gérées localement ou LMMA (locally-managed marine area) proposent un nouvel outil de gestion conciliant traditions et conservation. Émergent ainsi des solutions locales innovantes pour reconstruire une pêcherie tropicale et assurer la résilience de communautés autonomes.

Visite de terrain dans une ferme de crabes de mangroves à l'occasion du forum annuel des LMMA (Fidji). © Rojo Cyrielle Randrianarivony - LMMA-Network International

Visite de terrain dans une ferme de crabes de mangroves à l'occasion du forum annuel des LMMA (Fidji). © Rojo Cyrielle Randrianarivony - LMMA-Network International

Le premier défi des aires marines gérées localement est de concilier sécurité alimentaire et conservation de la biodiversité. En effet, de nombreuses personnes dépendent de la pêche comme principale activité de subsistance. Les solutions envisagées pour réduire la pression de la pêcherie traditionnelle sur les écosystèmes (surexploitation, pêche à la dynamite, etc.) doivent prendre en compte également la lutte contre la pauvreté. Or la course à la création de réserves marines ou de parcs protégés soulève des questions sur leur efficacité et leur éthique. Souvent nommées « Paper Parks », ces mises sous cloche ont dû faire face à l’inertie des utilisateurs, aux blocages de communautés voire aux braconnages incessants de groupes locaux. Pourtant, des traditions et des règles coutumières peuvent contribuer au maintien de la bonne santé des habitats. Les funérailles des chefs de villages aux îles Fidji sont un exemple de pratique ancestrale de gestion. À la mort du chef, une zone interdite à la pêche, ou tabu, est établie. Après cent jours, la zone est rouverte et une grande pêche est organisée à l’occasion d’un festin clôturant cette fermeture saisonnière. Les rituels liés aux croyances sont nombreux à avoir un effet positif sur la biodiversité. Par ailleurs, les exemples de gestion traditionnelle sont multiples au travers du globe et constituent une preuve de la capacité des communautés à gérer elles-mêmes leurs ressources. Le concept de LMMA souhaite ainsi rendre leur rôle aux communautés de pêcheurs et placer la responsabilité de la gestion des ressources entre les mains des usagers.

LES COMMUNAUTÉS CÔTIÈRES AU COEUR DE LA GESTION

Les LMMA sont des zones côtières gérées principalement ou complètement au niveau local par des communautés, des groupes de propriétaires terriens, Indo-Pacifique Espaces naturels n° 66 avril - juin 2019 15 des organisations partenaires et/ou des représentants du gouvernement qui résident ou exercent leur activité dans la région immédiate. La gestion s’opère par une communauté de sa propre initiative ou avec le soutien d‘une organisation non gouvernementale (ONG), afin de protéger les ressources halieutiques et de préserver la biodiversité marine. Diverses,techniques de gestion permettent d’assurer la bonne santé des écosystèmes tout en proposant des activités alternatives générant des revenus. Des fermetures de pêches temporaires, des réserves permanentes, des restrictions concernant les méthodes de pêche (par exemple l’interdiction de la pratique de la senne de plage), des initiatives de subsistance alternatives telles que l’aquaculture ou encore la restauration et la gestion des forêts de mangrove peuvent être mises en oeuvre. C’est le comité de gestion qui choisit les techniques de gestion et assure la mise en oeuvre des actions, leur suivi, leur évaluation ainsi que leur révision. Les LMMA ont ainsi diverses approches de gestion et de gouvernance, et leurs tailles et contextes varient énormément. Mais toutes partagent un même principe : placer les communautés locales au coeur de la gestion. Il n‘existe pas un moyen unique pour mettre en place et maintenir une LMMA. Toutefois, il existe certains processus, outils et techniques que le réseau a découvert.

UN RÉSEAU D’APPRENTISSAGE DE BONNES PRATIQUES

Le concept de gestion locale des ressources marines est né dans la région Indo-Pacifique et a trouvé écho auprès de nombreuses communautés, bordant presque tous les océans. Le réseau s’est étendu très rapidement au cours des dix dernières années. Cette émergence de nouveaux sites LMMA a été facilitée par les échanges entre pratiquants. En immersion, les leaders de communautés sont venus découvrir auprès de groupes pionniers leurs solutions et leur expérience pour la mise en place d’une LMMA. La première LMMA à Madagascar avait pu découvrir cet outil lors d’un échange avec les îles Fidji en 2006. Le réseau des LMMA est composé de sept réseaux nationaux membres (Salomon, Fidji, Philippines, Indonésie, Papouasie- Nouvelle-Guinée, Palau, Micronésie) et de plus d’une quarantaine de pays utilisant cette approche (Kenya, Madagascar, Comores, Myanmar, Samoa, Tuvalu, Chili, etc.). Il aide les gestionnaires de LMMA dans le monde en organisant le partage des bonnes pratiques, en renforçant les capacités et le leadership local, en assurant une pérennité financière et structurelle et en renforçant la voix des communautés de pêcheurs. La fermeture saisonnière de la pêche aux poulpes est une succes story d’une LMMA malgache (Andavoaka) qui a été diffusée dans la région de l’océan indien occidental et est pratiquée aujourd’hui dans de nombreux pays.

LA DIFFICULTÉ DE CONCILIER DROITS COUTUMIERS ET CADRES LÉGAUX

La structure juridique sur laquelle repose les LMMA est complexe et propre à chaque site. Les règles coutumières sont souvent spécifiques à un pays voire à une région ou communauté. Chaque État possède en outre un cadre légal propre, assurant une certaine reconnaissance de ces lois informelles. Des pays et régions du monde ont tenté déjà depuis les années 1990 de formaliser la gestion décentralisée en intégrant les règles informelles des communautés aux cadres juridiques existants. Les LGU (Local Government Units) aux Philippines ou les BMU (Beach Management Units) au Kenya ont par exemple facilité une certaine reconnaissance légale de l’outil LMMA à l’échelle nationale, tandis qu’elles reposent essentiellement sur les règles coutumières autour du tabou et de la no-take zone associée dans le Pacifique. En se fondant sur les traditions coutumières, les LMMA assurent une mobilisation forte des communautés soucieuses de leurs ressources. Aux Fidji cependant, la reconnaissance du plan de gestion décidé par les comités ne relevant pas d’arrêtés ou de lois pose problème, car ils ne disposent pas des outils légaux de répression pour assurer le respect des règles de la LMMA, notamment par les personnes extérieures.

UN PLAIDOYER VERS UN NOUVEAU PARADIGME

Le rôle des LMMA dans l’amélioration des habitats et dans l’émancipation des communautés locales a été démontré. Les différents réseaux, nationaux et internationaux, sont régulièrement sollicités pour proposer des solutions globales. En 2015, LMMA-Network International a ainsi contribué à la rédaction de la Regional Roadmap for Sustainable Pacific Fisheries. Le réseau est aujourd’hui confronté à la difficulté de « faire tâche d’huile » afin d’offrir des solutions locales réplicables à plus grande échelle, tout en s’affranchissant des cadres légaux restreints. Cependant certains détracteurs peuvent limiter l’impact de ces initiatives très locales à de petites échelles et remettre en cause leur efficacité face aux défis majeurs comme le changement climatique. Face aux enjeux mondiaux, la tendance est de se diriger vers une gestion plus étendue des espaces marins, à l’image des récentes large-scale marine protected areas. Pourtant, l'expérience des LMMA met en perspective l’importance et l’efficacité de systèmes décentralisés, diffus, de petites unités de gestion, de petits groupes de personnes engagés, autonomes et responsables qui ont émergé grâce aux LMMA.

 

Aller plus loin
lmmanetwork.org