>>> Des préalables à la gestion concertée

Agir ensemble

 
Savoir qui fait quoi et pourquoi

Espaces naturels n°19 - juillet 2007

Le Dossier

Alexandre Mignotte
Cipra France

 

Les acteurs susceptibles de prendre part à la vie des sentiers sont suffisamment nombreux pour laisser planer l’éventualité de conflits d’usage. Aussi, afin d’agir dans le cadre d’une gestion concertée, les réserves de Haute-Savoie, des gorges de l’Ardèche et du parc national des Écrins ont voulu connaître la motivation de chacun de ces acteurs et apprécier leur cohérence de pensée et d’action.
En effet, les gestionnaires doivent faire face à deux difficultés majeures : trouver les arguments qui portent, en fonction des acteurs qui leur font face, mais aussi mettre en place des stratégies d’action cohérentes et ciblées liées aux moyens dont ils disposent et aux acteurs avec lesquels ils s’associent. L’absence de stratégie peut s’illustrer par le fait de réunir systématiquement tous les acteurs sans réfléchir au bien-fondé de telle ou telle participation, le risque étant d’aboutir à des discussions contre-productives, sans issue.
Ces données fournies par l’étude devaient donc permettre aux gestionnaires de comprendre les mécanismes de l’action collective, d’établir des priorités, de savoir avec qui travailler dans les différents cas de figure d’une gestion concertée.
Une méthodologie de terrain
L’étude a débuté par une analyse croisée tenant compte pour chacun des acteurs, de quatre critères : statut juridique, compétences d’intervention, légitimité, échelles d’intervention.
- Le statut juridique. Il a permis de distinguer services centraux et déconcentrés de l’État, collectivités locales, associations, établissements publics à caractère industriel et commercial, établissements publics à caractère administratif, services de sécurité civile, propriétaires fonciers privés, entreprises privées…
- Les compétences d’intervention. Déterminées en se basant sur les statuts de chacun, ces compétences ont été décomposées en termes de conception, création, aménagement et entretien, règles d’utilisation des lieux. Par ailleurs, les moyens utilisés pour les exercer (humains, financiers, juridiques, techniques) ont également donné lieu à analyse.
- La légitimité. Le distinguo entre compétences et légitimité permet de différencier la reconnaissance juridique du bien-fondé des interventions d’un acteur (la compétence) et la reconnaissance sociale et politique (la légitimité). Un acteur peut ainsi disposer de compétences reconnues par la loi et souffrir d’un manque de légitimité du point de vue de ses détracteurs.
- Les échelles d’intervention. Celles-ci sont locale, départementale, régionale, nationale, internationale.
Le recueil d’information a été effectué à partir d’observations in situ (réunions de travail, séances de négociation, d’interventions sur le terrain…), dans le cadre d’opérations spécifiques ou à la faveur d’un diagnostic global. Le rendu du travail se décline sous la forme de typologies d’acteurs (qui pense quoi, comment, où,
en fonction de quoi ?) et d’un panorama du système d’acteurs (qui fait quoi, avec qui ?).
S’il ne s’agit pas à proprement parler de découvertes, cette mise à plat s’est avérée précieuse pour le gestionnaire qui manque de telles informations. Elles lui permettent, en effet, de choisir les acteurs prioritaires avec lesquels il doit travailler en fonction du type de concertation ou de décision à prendre. Cette connaissance l’autorise notamment à établir un plan de concertation, à planifier les réunions ou le temps de travail. Par ailleurs, le fait d’avoir analysé précisément la cohérence interne et les objectifs de ses partenaires, apporte sérénité et efficacité. Le gestionnaire perçoit clairement les enjeux et peut anticiper sur la manière dont chacun va agir et réagir. Les arguments sont plus ciblés, plus précis, ils suscitent le dialogue avec l’autre.
Repérer la diversité
des représentations…
Un des résultats de l’étude est d’avoir mis en évidence que la cohérence des acteurs dépend d’une appréhension différente du réseau de sentiers. Pour les uns ou les autres, ce peut être :
• une voie d’accès, condition d’exercice de la liberté de déplacement et support de sensibilisation à l’environnement • un outil de canalisation des flux et de contrôle de la fréquentation • une source de perturbation écologique • un objet patrimonial et identitaire • une ressource économique.
On remarquera tout de même que ces appréhensions différentes peuvent se combiner. Selon les projets, selon les contextes, selon ses intérêts à court ou à long terme, un même acteur (individuel ou collectif) peut mobiliser le réseau de sentiers de diverses manières. Celui-ci peut, par exemple, être appréhendé comme une voie d’accès et une ressource économique dans le cas d’un projet de valorisation touristique du territoire, puis comme une source de perturbation écologique et de fait comme un outil de canalisation des flux et de contrôle de la fréquentation si sa motivation est de préserver un territoire de toute intervention dommageable pour le patrimoine naturel.
… et les convergences d’action
L’étude s’est aussi penchée sur les modalités d’actions collectives de gestion concertée : comment, où et pourquoi les acteurs agissent-ils ensemble au service des sentiers ?
En dissociant trois principales modalités d’action, le chercheur a voulu donner au gestionnaire des outils pour formaliser les stratégies qui s’offrent à lui et ainsi mieux cibler les modalités de sa propre action. On peut ainsi observer des actions s’inscrivant différemment dans une logique de gestion et d’intervention courantes, d’autres dans une logique d’observation et, d’autres encore, dans une logique de planification.
• Une logique de gestion et d’intervention courantes. Actes simples, fondés sur la confiance mutuelle et l’échange de services, d’informations. Ces actions sont toujours propices aux rapprochements d’acteurs engagés dans une démarche de gestion respectueuse du multi-usages, à l’exemple de l’édition conjointe d’une plaquette d’information par la fédération départementale des chasseurs de l’Ardèche et le comité de la randonnée non motorisée. Officielles pour certaines, tacites et coutumières pour d’autres, ces formes de coopération sont en phase d’institutionnalisation et font l’objet d’une logique de planification. C’est le cas du réseau de sentiers de découverte du parc national des Écrins dont la gestion est planifiée, à l’échelle du parc dans un schéma directeur, et par secteur dans le cadre de conventions tripartites de gestion passées entre le parc, l’ONF et les communes concernées.
• Une logique d’observation. C’est le cas de l’observatoire développé dans le cadre du comité scientifique des réserves naturelles de Haute-Savoie. Celui-ci a pour ambition d’être un outil de diagnostic des territoires montagnards et de leurs évolutions. Il prend en compte toutes les activités s’exerçant sur le territoire (chasse, pêche, randonnée, alpinisme, sylviculture, pastoralisme…). Les réseaux de sentiers sont de fait une clé de lecture transversale de ces activités. Par cet observatoire, les acteurs sont inscrits dans une dimension multi-usages génératrice d’une conscience collective.
• Une logique de planification. C’est la modalité d’action collective la plus suivie. Elle a été encouragée dans les espaces protégés à partir des années 90 avec le développement des plans de gestion. Les chemins y tiennent une place importante et la participation des acteurs du territoire est indispensable à la rédaction de ces plans. Il en est de même pour la rédaction des documents d’objectifs des sites Natura 2000. Cette logique planificatrice passe également par les plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée, puis plus récemment avec le développement des plans départementaux des espaces, sites et itinéraires de nature.
On retiendra qu’en donnant une meilleure connaissance des acteurs aux gestionnaires, ce travail leur a permis d’améliorer l’acceptation locale de l’espace protégé en faisant comprendre ses objectifs et intérêts pour le territoire d’un point de vue tant écologique que social et économique.