Connaître le rôle écologique des sentiers
Espaces naturels n°19 - juillet 2007
Sébastien Franchini
Docteur en écologie
Alexandre Mignotte
Cipra France
Un réseau de sentier modifie l’état du milieu sur son propre linéaire. Il génère des modifications physiques et intervient sur des processus de dynamiques de populations. Il est également susceptible de modifier la structure des paysages et la connectivité des habitats. Pour toutes ces raisons, il mérite d’être davantage pris en compte dans la gestion des espaces protégés.
Certes, le très grand nombre de facteurs impliqués dans les modifications de dynamiques écologiques rend illusoire une analyse de l’ensemble des composantes biologiques d’un réseau de sentiers. Des études ont cependant été réalisées dans les réserves naturelles des Aiguilles rouges et des gorges de l’Ardèche, ainsi que dans la réserve biologique domaniale du mont Mézenc qui nous éclairent sur l’impact écologique des sentiers. Elles nous renseignent à la fois sur l’état et le niveau de perturbation des écosystèmes fréquentés et, également, sur les fonctions des sentiers en termes de
corridor écologique (voir schéma « Fonctions des corridors », page suivante), c’est-à-dire comme espace susceptible d’orienter les déplacements des individus, de réguler les flux et de structurer les populations animales et végétales.
Pour effectuer ce travail, les chercheurs ont pris en compte des bio-indicateurs (outils biologiques, voir tableau ci-dessous). Ils ont également basé leurs travaux sur le concept de métapopulations 1 pour savoir à quelles fonctions d’habitat, de conduit, de filtre, de puits, répondaient le réseau de sentiers.
Partant des problématiques écologiques propres à chacun des sites, des protocoles ont été mis en place. Ils visaient à mettre en évidence les effets directs et indirects de l’existence du sentier.
- Les effets directs sont liés à la fréquentation du sentier et au piétinement : dégradation du couvert végétal et perturbations de la composition et de la diversité de la faune du sol.
- Les effets indirects touchent à la structure et à l’utilisation des sentiers. Le sentier joue-t-il, ou non, un effet lisière2 ? Quelle est son incidence sur la flore des lichens ? A-t-il un effet « filtre », un effet « conduit » dans un contexte de corridor écologique (cf. encart ci-dessous) ? Pour répondre, les scientifiques se sont intéressés aux populations de certains insectes forestiers et aux déplacements des papillons diurnes. Les protocoles d’études ont varié selon les sites, ils ont consisté en des relevés croisés de végétation et en inventaires par observation ou par batterie de pièges (voir tableau et légende).
Les effets repérés
Même quand l’impact du piétinement est restreint au linéaire du sentier, la gestion du réseau et du comportement des usagers nécessite une réflexion et une attention particulière. Quelques enseignements de l’étude nous amènent à observer :
• Dynamique de végétation. Le piétinement entraîne globalement une régression du couvert végétal. Cependant, selon l’intensité du passage, il permet de favoriser des espèces de bordure, de zones ouvertes, lesquelles sont moins compétitives. Dans les gorges de l’Ardèche, l’étude laisse apparaître des modifications importantes dans les zones ouvertes (les seules accessibles au passage) : des zones d’érosion et de ravinement qui se perpétuent plusieurs années. Mais la divagation dans ces zones (landes rases, pelouses subalpines, pelouses calcaires karstiques, parcours substeppiques, formations herbeuses sèches…), hors du linéaire du sentier, augmente la surface de perturbation. La diversité végétale s’en trouve diminuée et la surface d’habitat fragmentée.
Sur le site du mont Mézenc, après onze jours d’utilisation du sentier-test (détournement de l’itinéraire habituel sur une dizaine de mètres), on a assisté à une diminution de 72 % du recouvrement végétal sur le nouveau linéaire. Après quinze jours, la disparition était quasi totale.
• Effet lisière généré par le sentier. Celui-là n’a pas été clairement mis en évidence sur le mont Mézenc, et uniquement ponctuellement dans les Aiguilles rouges. Plus que le sentier lui-même, ce sont les facteurs de milieux (édaphiques, climatiques, géologiques, topographiques) qui paraissent dicter la répartition des espèces.
• Rôle de barrière, de conduit ou d’habitat du sentier. Suivant les espèces, le sentier joue le rôle de barrière, de conduit ou d’habitat. Ainsi, pour celles qui ne volent que peu ou pas (notamment en forêt), les sentiers diminuent la surface utile dont ils ont besoin, et réduisent leurs capacités migratoires. Certaines espèces l’utilisent comme ressource, telle la cicindèle champêtre qui chasse habilement le long des chemins sablonneux.
• Effet du piétinement sur la faune du sol. Il est manifeste. Au mont Mézenc, les analyses ont montré une élimination de la faune du sol par compaction de la terre : mêmes microscopiques, les organismes ont besoin d’air et d’eau, disponibles dans les macropores (voir tableau ci-dessous).
• Impact sur la flore lichénique. Au mont Mézenc, la gestion du site, et le déplacement de supports (croix ou dalle), les coupes d’arbres, les reboisements, l’aménagement des parkings, l’ouverture de sentiers, entraîne des modifications de composition ou de structure de la flore lichénique.
Enfin, l’étude s’est penchée sur l’analyse d’images satelliques réalisées sur le secteur du lac Blanc. Une cartographie de la végétation a été réalisée. Elle s’appuie sur la typologie « Corine Biotope ». Elle est issue de traitements de photographies aériennes au 1/17000e et de données de terrain. La superposition de cette carte et de celle du réseau de sentiers permet de faire ressortir les zones à risques potentiels. Le degré de fragilité et d’impact possible sur les milieux traversés est défini et vérifié lors de prospections de terrains.
Ces éléments rassemblés, la question d’une stratégie de gestion des sentiers reste posée.
1. Métapopulation. Ensemble de sous-populations interconnectées, au moins transitoirement, pour permettre les phénomènes de dispersion, de migration et de (re)colonisation. Ces phénomènes sont essentiels à la survie de la population. Le nombre d’individus la composant doit être suffisant.
2. On parle d’effet lisière pour les biotopes situés entre deux milieux différents qui présentent de par cette situation une plus grande richesse biologique.