>>> La nature en jeux

Comprendre en jouant

 
du plaisir d'être à celui de rêver

Espaces naturels n°6 - avril 2004

Pédagogie - Animation

Fabrice Cugny
Président de la Commission éducation à l'environnement de Réserves naturelles de France, président du Conservatoire des sites du Nord et du Pas-de-Calais

 

Jouez ! Prenez le temps d’apprendre en initiant du plaisir. Vous avez tout à y gagner : la découverte, l’apprentissage, la relation aux autres. Ces savoirs et savoir-être constituent un bien précieux pour affronter l’immense chantier qui nous attend : sauvegarder la planète.

Apprendre, c’est s’asseoir sur un banc d’école. C’est du moins ainsi que la majorité des gens perçoivent l’apprentissage, peut-être, sûrement, parce que nos sociétés développées exhortent à l’efficacité et à la rentabilité. On aurait donc oublié l’époque « maternelle », quand on jouait tout le jour pour apprendre à marcher, à parler, à se situer socialement, à appréhender le monde ! Le jeu, c’est du sérieux.
Certes, il est parfois difficile de s'accorder du temps pour aborder l'apprentissage ou l'acquisition de connaissances par des moyens détournés, pourtant, sur le plus long terme, les acquis s’inscrivent en nous de façon plus pérenne. Le plaisir provoque une adhésion de tout notre être, une implication profonde, ce qui est acquis par le plaisir est mieux mémorisé que ce qui l’est sous la contrainte ou encore dans un cadre imposé par nos formations classiques. Atteindre les objectifs fixés par le jeu mobilise notre intelligence : nous devons comprendre et non plus simplement apprendre. Comme des briques, les acquis nouveaux viennent alors s’ajuster à nos acquis antérieurs… nous nous construisons. Le jeu a de multiples retombées dans notre éducation, dans la construction de notre identité et de nos comportements. Le jeu, c’est vraiment du sérieux !
Dans ce cadre, il est indéniable que la nature offre, comme on le dit, un formidable terrain de jeu. Qui n'a pas joué à Robinson Crusoé, construit une cabane, caché ses trésors, conquis des mondes imaginaires, joué à cache-cache ou au chat perché dans la nature ? La nature permet de développer l'imaginaire, la créativité, la stratégie, les interactions…
Quelque soit la forme prise par le milieu, toujours le jeu s'affranchit ou transforme ses contraintes. Dans les célèbres photos de Doisneau, outre le fameux baiser, il en est une qui représente des enfants jouant autour d'une carcasse de voiture sur un terrain vague. Elle évoque le puissant pouvoir de liberté engendré par ce type de milieu : tous les rêves y sont possibles, le lieu laisse place à l'imaginaire et au plaisir d'y vivre ce que l'on veut.
Le jeu a ses règles,
la règle est source d’éducation
La fragilité des milieux et la protection de notre patrimoine naturel nous amènent, petit à petit, à réglementer, cadrer, voire interdire certaines actions ou activités. Or ces « contraintes » peuvent tout à fait s'intégrer dans le fondement même d'un jeu qui possède son propre cadre, ses propres règles. C'est alors qu'il devient source d'éducation et de formation de l'individu. Il existe une extraordinaire diversité de jeu pour appréhender les milieux naturels utilisant les différents sens, l'agilité, la force physique, la réflexion, les connaissances. Si beaucoup d'entre eux se déroulent directement sur le milieu, d'autres se pratiquent de plus en plus hors du contexte naturel. Les nouveaux médias, tels les cédéroms, conduisent à des explorations, ludiques et pertinentes de la nature, même si elles restent virtuelles. D'autres jeux plus « traditionnels », plus « de société », voient également le jour. Ils permettent, outre l'acquisition de connaissances, de nouer des liens entre les personnes qui les pratiquent, de se socialiser, de créer une culture commune, en y intégrant des notions un peu innovantes comme la « coopération ». L’entraide s’installe alors, dans une relation gagnant-gagnant.
La part d'enfance, qui est en nous, est précieuse, aussi précieuse que la beauté de la vie. N’hésitons pas. Prenons du temps pour jouer, pour retrouver notre part d'innocence, pour ancrer en nous d'autres façons d’êtres, pour apprendre, pour mieux nous comporter tant sur nos espaces naturels que dans notre environnement quotidien.