La diversité lichénique, une richesse à sauvegarder

 

Espaces naturels n°6 - avril 2004

Études - Recherches

Jonathan Signoret
Laboratoire biodiversité et fonctionnement des écosystèmes.

 

Fruits de la symbiose entre un champignon et une algue, les lichens occupent une place spécifique dans les écosystèmes. Organismes pionniers, ils sont aussi exposés à toutes les agressions. Trop souvent méconnus, ils mériteraient une protection à la hauteur de leur intérêt.

Les lichens résultent de l’association de deux éléments vivants : un champignon et une algue, son partenaire chlorophyllien. Nous sommes donc en présence d’un organisme symbiotique.
L’architecture principale de cet organisme symbiotique est constituée par le champignon (le thalle) qui protège son partenaire chlorophyllien contre la déshydratation et le rayonnement solaire. Le thalle absorbe également les éléments nutritifs minéraux de l’eau. Pour sa part, l’algue (généralement une population d’algues vertes) développe une activité photosynthétique. Elle synthétise des glucides qu’elle partage avec son hôte fongique. Il arrive parfois que des bactéries spécialisées dans la fixation d’azote atmosphérique (cyanobactéries) remplacent ou supplémentent les algues vertes.
Les lichens se caractérisent par leur grande longévité et leur présence dans des habitats hautement spécifiques. En effet, ils tolèrent des extrêmes de chaleur et de froid dans des environnements qui peuvent être soit naturels soit anthropiques. De même, ils croissent sur tous les types de substrats des habitats urbains et ruraux.
On distingue généralement les espèces épiphytes, qui vivent sur les arbres et arbustes, les lichens terricoles qui colonisent les pelouses sèches ou alpines, landes, tourbières et les espèces saxicoles qui adhèrent à la surface des affleurements rocheux ou des monuments.
Un rôle méconnu
Les lichens occupent une place aussi discrète que méconnue dans les écosystèmes. Éléments capteurs d’humidité et d’eau ; fixateurs de carbone ; accumulateurs de nutriments (azote et phosphore) ; stabilisateurs des sols ; habitat et refuge des insectes, ils sont par ailleurs utilisés par les oiseaux dans la construction de leurs nids. Ils constituent une ressource alimentaire pour les invertébrés (escargots, insectes…) comme pour certains grands mammifères (rennes), notamment dans les zones septentrionales de l’hémisphère nord.
Ce sont aussi des pionniers. Leur grande capacité de résistance explique qu’ils colonisent des zones où les conditions de vie sont défavorables aux autres espèces végétales. En effet, ils vivent sous quasiment toutes les latitudes et résistent à presque toutes les conditions climatiques. En période de sécheresse, ils survivent grâce à l’arrêt de leurs processus métaboliques, puis se réactivent à la moindre pluie ou brouillard.
Parce qu’ils jouent un rôle important dans la dégradation physico-chimique des roches, les lichens contribuent également à la formation du sol. Ainsi, avec le temps, leur expansion prépare le terrain aux plantes supérieures. Ceci d’autant plus qu’ils ont la propriété de transformer l’azote atmosphérique en azote assimilable par les plantes.
Sensibilité et préservation
Pour les gestionnaires d’espaces naturels, la protection de la biodiversité lichénique nécessite une bonne connaissance des habitats favorables. Nombre de lichens se développent très lentement. Chez le Lobaria pulmonaria (lichen épiphyte), le cycle biologique, de la colonisation fructueuse du substrat à la production de diaspores (reproduction par dispersion), dure trente ans. Des facteurs environnementaux stables (luminosité, hygrométrie, pH) sur plusieurs décennies permettent à cette espèce, à faible capacité de colonisation, de s’établir. La continuité écologique des habitats forestiers est donc une condition essentielle de son expansion. Ainsi, si l’exploitation forestière autorise les coupes à blanc, ou si tous les arbres sont abattus avant d’avoir atteint un certain âge, les lichens ne trouveront plus les conditions favorables à leur développement. À l’inverse, les vieilles forêts, les taillis sous futaie ou certains pâturages boisés peuvent être considérés comme des exemples de grande continuité écologique. Ils offrent aussi des conditions de luminosité et une diversité de peuplements qui constituent autant de critères favorables aux lichens épiphytes.
En France, la préservation des lichens est en retard sur ce que connaissent la plupart des autres pays européens et il n’existe pas de liste rouge des lichens menacés. Ceci constituerait une mesure préalable à la protection active des espèces les plus exposées. Les lichens sont donc directement dépendants de l’attention que les gestionnaires veulent bien leur accorder.