Faire parler les papillons de jour

 

Espaces naturels n°53 - janvier 2016

Études - Recherches

Pascal Dupont, MNHN

La connaissance de la biodiversité spécifique des papillons de jour dans un espace donné ne se résume pas à une liste d’espèces présentes. Chaque espèce a des traits de vie caractéristiques qui apportent des informations précieuses pour la gestion, en particulier sur la fragmentation des milieux.

Papillon Inachis

Papillon Inachis © Svdmolen

Les lépidoptères rhopalocères ou papillons de jour ont des particularités tellement diverses qu'on peut les utiliser comme indicateurs de bonne santé d'une parcelle, mais aussi d'un écocomplexe. Ce n'est pas par hasard s'ils sont souvent les premiers insectes à être inventoriés dans les espaces naturels : ils sont bien connus des gestionnaires et d'un abord assez simple. L'INPN 1 propose, dans sa base de données, des traits de vie : des descripteurs biologiques et comportementaux quantitatifs (respiration, croissance, mode de reproduction et alimentation) ou écologiques. Elle permet, au premier niveau, de vérifier la pertinence des inventaires réalisés, mais aussi, dans un second temps, de lier la présence et l’absence de certaines espèces à un état qualitatif
des habitats présents.

Pour utiliser cette base de traits de vie, il est nécessaire d’avoir au préalable, une bonne connaissance des milieux échantillonnés. Dans les espaces natu- rels soumis à un plan de gestion, cela implique, notamment, une cartographie des habitats déjà réalisée. La base de traits de vie permet de trouver la sélec- tion d’une liste d’espèces potentielles en fonction de la situation géogra- phique, d’un ou de plusieurs habitats et d’une période au cours de l’année. La base, outre les données liées à la répartition des espèces, contient des renseignements sur le degré de spécia- lisation vis-à-vis d’un habitat optimal et d’un habitat secondaire (typologie EUNIS), et la capacité de dispersion.

L’ANALYSE DE LA PERTINENCE DE L’INVENTAIRE

La base de traits de vie permet la comparaison de la liste des espèces de papillons observées lors d’un inventaire avec une liste des espèces potentiellement présentes. Cette comparaison met en avant un ensemble d’espèces non observées dans la parcelle échantillonnée. L’examen précis des traits de vie de ces dernières apporte des informations sur la tenue de l’inventaire. C’est une étape indispensable avant d’aller plus loin dans l’analyse des communautés. Il est important notamment de vérifier dans l'inventaire la proportion d'espèces qui ont besoin de milieux variés au cours de leur vie. Nous estimons que si plus de 50 % des espèces ubiquistes n’ont pas été observées, une nouvelle campagne d’inventaire sur le site doit être programmée.

L’ANALYSE DES COMMUNAUTÉS PRÉSENTES DANS LES PRAIRIES ET PELOUSES

Plus ce paysage ou éco-complexe est diversifié en type d’habitats (pelouse, prairie, strate arbustive, forêt...), plus la diversité spécifique présente au niveau de la parcelle est potentiellement importante. La base de traits de vie permet un examen précis de la communauté observée. Par exemple, une espèce qui a besoin de milieux différents pour les adultes et pour les chenilles indique par sa présence, non seulement que les milieux sont bien diversifiés, mais aussi qu'ils sont bien connectés.

Cette analyse apporte donc des informations qualitatives non seulement au niveau de la parcelle échantillonnée mais aussi à l’échelle de l’écocomplexe. La démarche s’appuie sur trois postulats qui ont été définis à partir de travaux scientifiques :

  • Plus la diversité des espèces avec un fort pouvoir de dispersion est réduite par rapport à une diversité potentielle, plus l’écocomplexe est peu diversifié et dégradé.
  • Plus la diversité des espèces avec un pouvoir de dispersion moyen est réduite par rapport à une diversité potentielle, plus la fragmentation des habitats à l’échelle de l’écocomplexe est importante.
  • Plus la diversité des espèces spécialistes des pelouses et prairies est importante par rapport à une diversité potentielle, plus la gestion de la parcelle échantillonnée est favorable au développement des espèces de papillons associées. On observe par ailleurs une corrélation entre le degré de spécialisation des espèces et leur capacité de dispersion, les espèces spécialistes ayant généralement des capacités de dispersion plus faible.

L’analyse peut aussi porter sur les strates arbustives et arborées afin de mieux percevoir comment la parcelle échantillonnée est intégrée au sein de l’écocomplexe connecté. La marche à suivre que nous proposons se déroule en quatre temps.

Dans une première phase, le gestionnaire sélectionne les espèces potentielles par habitats présents au niveau de l’espace naturel si celui-ci recouvre un même étage de végétation  : planitiaire/collinéen, montagnard ou subalpin/alpin. En effet, à chaque étage de végétation, correspond une communauté d’espèces de papillons différentes. Dans le cas où l’espace naturel recouvre plusieurs étages de végétation, la sélection des espèces potentielles se fera étage par étage en s’appuyant, via la base de données de traits de vie, sur les strates altitudinales qui paraissent au gestionnaire les plus pertinentes.

Dans une deuxième phase, le gestionnaire répartit les espèces potentielles et les espèces observées dans des listes différentes établies en fonction des habitats associés, de leur degré de spécialisation et de leur capacité de dispersion.

Dans une troisième phase, le gestionnaire analyse l’état de conservation des milieux herbacés (pelouses, prairies et ourlets) pour les papillons au niveau de la parcelle échantillonnée. Il compare les listes d’espèces potentielles et les listes d’espèces observées pour chaque degré de spécialisation. Le gestionnaire donne un avis en fonction d’un seuil de 50 % pour le pourcentage d’espèces observées par rapport au nombre d’espèces potentielles (voir le schéma ci-contre).

Dans une quatrième phase, le gestionnaire donne un avis sur l’état de conservation pour les papillons des milieux herbacés au niveau de l’écocomplexe connecté. La démarche est similaire à la précédente mais elle prend en compte la capacité de dispersion des adultes.

LES PERSPECTIVES

Pour un gestionnaire d’espace naturel, l’analyse des données d’inventaire par une approche ciblée sur les communautés d’espèces permet d’avoir des informations à un temps T de la structure et du fonctionnement des écosystèmes. Ces informations sont indispensables pour l’élaboration d’un plan de gestion. La base de traits de vie est un outil permettant la réalisation de la démarche pour le groupe des papillons de jour. Elle est continuellement mise à jour car, même si ce groupe est relativement bien connu, des données nouvelles sont continuellement disponibles notamment en ce qui concerne la chorologie, la phénologie et les capacités de dispersion des espèces. Une nouvelle version de la base sera disponible une fois par an. Actuellement, le dire d’expert prend une part très importante pour établir le degré de spécialisation entre une espèce et un habitat donnés. Dans le cadre de l’inventaire national des rhopalocères de métropole, un nouveau protocole d’acquisition de données d’occurrence sur les espèces est développé. Celui-ci prend en compte les habitats et doit permettre à terme d’avoir des informations plus objectives sur le degré de spécialisation des espèces et faire évoluer notre démarche pour l’évaluation des habitats agropastoraux.