Lobbying

On a fait bouger les MAET

 
Gestion patrimoniale

Philippe Della Valle, chargé de mission Natura 2000, Cap Atlantique

Les règles du jeu de la contractualisation ne permettaient plus de tenir les objectifs de conservation dans les marais salants de la Presqu'île de Guérande. Il a fallu mobiliser les partenaires et négocier directement avec la Commission européenne.

Les MAET sont importantes pour conserver une biodiversité étroitement liée aux pratiques salicoles.

Les MAET sont importantes pour conserver une biodiversité étroitement liée aux pratiques salicoles. © Philippe Della Valle

L’arrivée du Plan de développement rural hexagonal (PDRH, qui définit les modalités de mise en œuvre des fonds Feader) 2007-2013 et de son fonctionnement en « engagements unitaires » permettant la construction des mesures agro-environnementales territorialisées (MAET), a rendu inéligibles à la contractualisation plus des deux tiers de la surface exploitée sur les marais.

Or, les MAET sont importantes pour conserver une biodiversité étroitement liée aux pratiques salicoles : tous les habitats et la fréquentation par les oiseaux dépendant des apports plus ou moins réguliers en eau, vases salées et de l’entretien mécanique des talus. (cf. encadré ci-après). Les différents types de contrats se sont d'ailleurs succédés depuis les années 90 : ACNAT, OGAF, OLAE-CTE, CAD, etc. Il est important de souligner que la production salicole ne bénéficie pas d’aides à la production du premier pilier de la PAC. Il y a donc un réel enjeu économique à la réussite des MAE (deuxième pilier de la PAC). Cap Atlantique (structure animatrice Natura 2000 et opérateur agro-environnemental), la communauté d’Agglomération de la Presqu’île de Guérande, ainsi que la profession paludière, se sont mobilisés.

Après de nombreuses négociations avec les administrations locales en charge du PDRH, Cap Atlantique s'est résigné à élaborer une MAET qui portait, de fait, uniquement sur la saline, et non sur les autres bassins. La profession n’a pas tardé à sanctionner ce nouveau dispositif par un total désintérêt : aucune souscription de 2009 à 2010 n’a eu lieu, alors que le nombre de paludiers ayant jusqu’alors des contrats était de 86. En effet, plus des deux tiers de la surface exploitée sur les marais étaient devenus inéligibles à la contractualisation.

LE LOBBYING SEUL MOYEN POUR FAIRE ÉVOLUER LE DISPOSITIF CONTRACTUEL

Devant l’impossibilité apparente de faire évoluer le dispositif avec les instances nationales (courriers aux ministères de l’écologie et de l’agriculture), la profession (syndicats de paludiers, chambre d’agriculture, associations de paludiers) a décidé avec les élus de Cap Atlantique de mobiliser des députés européens à l’automne 2010 afin de négocier directement avec la Commission européenne pour modifier le PDRH 2007-2013. C’est Stéphane Le Foll, alors député européen de la Sarthe, qui a organisé une rencontre en décembre 2010 entre la profession paludière, les élus de Cap Atlantique et les services de la direction générale de l’agriculture de la Commission européenne. Grâce à un solide argumentaire, tant économique qu’écologique, les représentants de la Commission ont totalement adhéré à l’idée de créer un engagement unitaire propre aux marais salants de type Guérande, portant sur l’ensemble des surfaces exploitées tant en propre que collectivement, et avec un plafond à l’hectare correspondant à la réalité de terrain (900 euros/ha au lieu de 450).

Quelques jours après cette rencontre, la Commission européenne sollicitait le ministère de l’Agriculture français pour proposer dès le printemps 2011 une modification du PDRH prenant en compte ce nouvel engagement unitaire. Malgré un travail de longue haleine avec les services de la DDTM, de la DRAAF et de l’ASP, la nouvelle mesure n’a pu être proposée qu’en mai 2012 aux paludiers. Elle répondait malgré tout aux attentes économiques des paludiers et aux exigences écologiques des sites Natura 2000 : aide de 900 €/ha/an sur les surfaces exploitées en propre comme en collectif, maintien d’eau dans les vasières en hiver pour l’alimentation des oiseaux migrateurs, gestion différenciée des talus en faveur de la Gorgebleue, gestion en eau de salines incultes pour la conservation des végétations halophiles et la nidification des laro-limicoles (Avocette, Échasse blanche, Sterne pierregarin...), organisation de chantiers collectifs de lutte contre l’invasive Baccharis halimifolia, etc.

DES RÉSULTATS DÉCEVANTS DANS UN PREMIER TEMPS

Les marais salants de Guérande et du Mès se trouvent au sein de deux sites Natura 2000. © Philippe Della ValleAu vu des trente dossiers MAE contractualisés par les paludiers en mai 2012, on peut penser qu'il y a une distorsion entre l'intense travail de lobbying mené pour arriver à la nouvelle MAE et ce résultat. L’opérateur agro-environnemental s'est effectivement dit qu'on avait fait beaucoup de bruit pour rien... Pourtant, si de nombreux paludiers ont été inquiétés par les fortes exigences de la mesure en matière environnementale (plus de 36 heures de chantiers collectifs à mener chaque année pour un hectare contractualisé par exemple), ce sont dorénavant 54 paludiers qui sont engagés sur 140 hectares de marais salants exploités.

La mesure permet également la limitation du baccharis sur 90 hectares de marais incultes, grâce à près de 440 journées de travail financées par la MAE, ou encore la gestion en eau de 54 ha de salines en friche. Les suivis menés en 2013 par l’association Bretagne Vivante-SEPNB (cf. en savoir plus) sur 34 vasières engagées en MAE ont démontré que ces dernières accueillaient une densité d’oiseaux en hiver trois fois plus importante que la densité mesurée sur l’ensemble des bassins échantillonnés (N=500). Les résultats pour la Gorgebleue à miroir restent à démontrer, un état initial ayant été mené en 2012, première année de la contractualisation.

Ces premiers éléments sont donc encourageants, mais cet épisode souligne que les Plans de développement ruraux doivent être élaborés avec les gestionnaires de sites, qui peuvent judicieusement faire le lien entre exigences économiques et exigences écologiques, grâce à une connaissance fine des sites. Par ailleurs, cette expérience démontre aussi que les MAE, aussi exigeantes et bien indemnisées soient-elles, ne peuvent répondre aux objectifs de conservation des sites Natura 2000 à elles seules, en portant comme ici sur moins de 10 % de la surface totale du marais salant. Les autres dispositifs contractuels tels que les contrats Natura 2000, parents pauvres des MAE dans les Plans de développement ruraux, et bien souvent occultés dans les choix des décideurs, peuvent pourtant bien compléter les MAE sur les zones incultes, pour des sommes très relatives au niveau national.