Restauration

Le lac Wolong, nouvel eldorado pour les oiseaux

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

Vu ailleurs

Au début des années 2010, le lac Wolong (Chine), halte de nombreux oiseaux migrateurs sur la route entre Sibérie orientale et Australie, a été transformé en réservoir pour lutter contre la sécheresse. Une évolution aux impacts écologiques sévères. Un projet de restauration initié en 2015 a permis, dès le printemps 2018, le retour en nombre des oiseaux migrateurs, tout en préservant un réservoir pour les populations.

Le lac Wolong - Crédit : X. Rufray

Avec 2 500 ha de scirpaies restaurées, le lac Wolong accueille de nouveau nombre d'oiseaux migrateurs qui l'avaient déserté, faute d'espace praticable. Crédit : X. Rufray

Le lac Wolong est une zone humide de 6 000 ha située dans la province du Liaoning à 600 kilomètres au nord-est de Pékin. Cette dépression endoréique(1) peu profonde, au centre d’une vaste plaine, est alimentée par trois rivières temporaires. Le niveau d’eau peut être géré par deux vannes permettant de vidanger partiellement la zone humide par gravité. Au nord-est du lac se trouve la ville de Kangping (300 000 habitants). Le site a été classé Réserve naturelle provinciale en 2001, en tant que halte migratoire d’importance internationale pour les grues, les oies, les canards et les limicoles sur la plus grande voie de migration de la planète, la célèbre « voie Asie de l'Est - Australasie » avec ses 50 millions d’oiseaux migrant entre Sibérie orientale et Australie(2).

DÉGRADATION ÉCOLOGIQUE

Alors qu’au printemps 2010, le lac Wolong accueillait encore plus de 100 000 oiseaux par jour, dont plus de 3 000 Grues de Sibérie (alors 80 % de la population mondiale), une décision politique a considérablement modifié son destin. Les sécheresses estivales récurrentes dans le nord de la Chine (saison des pluies) ont poussé le maire de Kangping à prendre une décision radicale : utiliser la zone humide comme un réservoir, pour, selon lui, « lutter contre le changement climatique et stopper la progression du désert [dont les premières dunes se situaient à 80 km plus au nord] ». Mais en 2011 et 2012, la sécheresse escomptée ne s’étant pas produite, le niveau d’eau de la zone humide a augmenté d’environ deux mètres. La végétation émergente (3 000 ha de typhas, phragmites et lotus), et plus de 1 000 ha de prairies à scirpes accueillant les oies et les grues au printemps et à l’automne ont alors totalement disparu. Lors de grands coups de vent, les berges ont été soumises à une très forte érosion, certaines digues se brisant et des terres agricoles en périphérie du lac étant noyées. La disparition des hélophytes, au pouvoir épurateur, a entraîné une dégradation significative de la qualité de l’eau du lac, dans laquelle la ville de Kangping rejetait les eaux de sa station d’épuration. Les autorités locales, qui avaient pensé bien faire, n’avaient pas anticipé une telle dégradation écologique.

En outre, le gouvernement local de Kangping, qui souhaitait développer le tourisme de nature autour du lac, s’est assez vite rendu compte que la montée des niveaux d’eau ne produisait pas que des effets positifs... Si le lac était devenu navigable, la Réserve naturelle avait perdu le cadre paysager qui était au coeur de son attractivité.

EXPERTISE INTERNATIONALE ET FORMATION DES ÉLUS

La mairie de Kangping a alors sollicité un prêt de 15 millions d’euros auprès de l’Agence française de développement (AFD), dans le cadre d’un accord du ministère chinois des Finances pour des projets « biodiversité ». Le projet a mobilisé plusieurs entreprises françaises, Biotope en assurant l’assistance technique, avec l’aide de la station biologique de la Tour du Valat et des sociétés française Phytorestore, américaine HJI et chinoise CaoMufan. En 2015, un diagnostic écologique a clairement mis en évidence que l’on ne pourrait restaurer les habitats naturels des oiseaux migrateurs qu’à condition de faire baisser rapidement les niveaux d’eau d’au moins 1,50 m. Sans cela, il n’aurait été possible de restaurer qu’une centaine d’hectares, bien insuffisant pour retrouver les effectifs des espèces migratrices de 2010. Or faire baisser les niveaux d’eau était une question éminemment politique. En effet, l’organisme gestionnaire du lac, bénéficiaire du prêt de l’AFD, ne pouvait pas décider de vidanger le lac de 6 000 ha sans l’aval du maire et du secrétaire général du Parti communiste de la ville. Le premier semestre 2015 a été consacré à mettre en place des formations en écologie pour le personnel de la réserve. L’objectif : qu’ils aient une meilleure compréhension des exigences écologiques des espèces menacées comme la Grue de Sibérie (CR), la Cigogne orientale (EN) ou l’Oie cygnoïde (VU)(3), et une meilleure connaissance de l’écologie des principales plantes composant cet écosystème (typhas, scirpes, lotus, saules). Il s’agissait de faire monter en compétences personnel et direction de la Réserve, afin que les bonnes décisions soient prises pour la restauration de la zone humide. Mais les informations remontant aux élus décisionnaires n’ont pas permis d’inverser le cours de la gestion hydraulique du lac. Biotope, avec l’aide du gestionnaire de la Réserve, a alors initié une première rencontre avec le maire de Kangping.

En Chine, les experts étrangers sont infiniment respectés. Aussi le maire et l’ensemble des élus locaux du Parti communiste convoqués les ont-ils écoutés attentivement. À l’issue de la réunion, le maire a accepté de faire baisser le niveau du lac de 70 cm. Quelques mois plus tard, les zones exondées se sont couvertes de scirpes, principale source de nourriture des oies et des grues en migration. Mais sur des surfaces nettement insuffisantes.

Pour sauver la zone humide et contribuer à sauver également la Grue de Sibérie, alors privée depuis deux ans de sa plus importante halte migratoire entre le centre de la Chine et la Sibérie, il fallait absolument que le maire change d’avis. Une deuxième réunion politique, cette fois en présence de représentants de l’AFD, a permis d’accéder au premier secrétaire du Parti de la ville de Kangping et de faire évoluer son regard sur le lac. Cette réunion, décisive, a permis de trouver un compromis pour la préservation de la zone humide.

UN COMPROMIS, DES RÉSULTATS SPECTACULAIRES

La baisse des niveaux d’eau de 70 cm a permis de laisser apparaître partiellement une ancienne digue de 8 km de long, héritage du passé d’aquaculture du lac. Une fois restaurée, cette digue a permis la création de deux unités de gestion hydraulique : l’une avec des objectifs écologiques de recréation des habitats à grues et oies, et l’autre servant de réservoir, comme le souhaitaient les élus. La Chine a une capacité à mettre en oeuvre et finaliser des travaux dans des délais uniques au monde. Le compromis unanimement accepté, en l’espace d’un an et demi, la digue fut restaurée.

Les 2 500 ha de scirpaies restaurées grâce à une gestion hydraulique adaptée ont produit des résultats spectaculaires dès l’automne 2017 et le printemps 2018. Fin mars 2018, en une journée, 1 240 Grues de Sibérie, 25 Grues à cou blanc, 60 Grues moines, 250 Cigognes orientales, 65 000 Oie des moissons, 3 000 Oies cygnoïdes, 12 000 Sarcelles élégantes, et 14 Fuligules de Baer ont été comptabilisées sur la partie restaurée du lac. Les Grues de Sibérie sont restées en stationnement plus de deux mois, preuve de l’intérêt du lac Wolong sur la route du retour vers leur zone de nidification sibérienne. Au final, si l’on a perdu en naturalité avec le cloisonnement du lac en deux parties hydrauliquement indépendantes, c’était sûrement le seul compromis acceptable pour les autorités locales. Le lac Wolong attire désormais de très nombreux photographes animaliers, initiant un tourisme de nature sur le site. Le plan de gestion écologique de la zone humide pour les cinq ans à venir est en cours de finalisation avec, comme objectif principal, le classement du lac en zone humide d’importance internationale (Ramsar), laissant entrevoir un bel avenir pour le lac Wolong.

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(1) Bassin versant clos retenant les eaux dans une dépression fermée.

(2) Birdlife.

(3) CR, EN et VU sont des catégories de la liste rouge des espèces menacées de l'UICN désignant différents stades de menace, CR : « en danger critique d'extinction », EN : « en danger» et VU :« vulnérable ».