>>> En pratique

Les lichens marqueurs biologiques

 

Espaces naturels n°6 - avril 2004

Études - Recherches

J. S.

 

D’abord utilisés comme indicateurs de pollution atmosphérique, les lichens sont désormais au service du gestionnaire. Leur étude permet de mesurer la sensibilité et l’exposition d’un site aux différentes agressions. Un indicateur biologique précieux et économique.

Organismes pionniers et colonisateurs, les lichens n’en sont pas moins extrêmement exposés. Dépourvus de racines ou de fonctions respiratoires, ils vivent sous la dépendance des apports atmosphériques ou des eaux de ruissellement. Ils se nourrissent, sans protection, de tout ce que leur offre leur environnement. Ils sont donc directement sensibles à toutes ses modifications : aménagements, débroussaillages, agriculture, fréquentation touristique, exploitation forestière ou encore pollution. Leur constitution symbiotique renforce cette fragilité. Qu’un seul des deux partenaires (le champignon ou l’algue) subisse une agression, et tout l’équilibre est perturbé. Il en résulte une perte de vitalité ou même la destruction complète du thalle.
Les changements environnementaux peuvent conduire à des mutations cellulaires, à des évolutions de la répartition géographique, et plus généralement à l’apparition de nouveaux écotypes, tant en quantité qu’en variété des espèces.
Indicateurs de qualité environnementale
Pour étudier les menaces qui pèsent sur la santé humaine au travers de la pollution de l’air, des sols et de l’eau les chercheurs ont depuis longtemps observé l’impact des changements environnementaux sur différentes espèces (bactéries, cyanobactéries, algues, mousses, lichens et champignons). Parmi ces organismes, les lichens se sont révélés être d’efficaces sentinelles dans la détection de la qualité environnementale.
Ils sont aujourd’hui les indicateurs biologiques les plus utilisés dans le suivi des écosystèmes terrestres. Leur observation et leur suivi permettent de connaître la diffusion d’une large palette de polluants tels que les métaux lourds, les radionucléides, les substances chimiques et gazeuses. Les chercheurs s’intéressent autant à la quantité de lichens qu’à la variété des espèces. La dimension pratique de ces études débouche sur des représentations cartographiques.
Efficaces pour évaluer la qualité environnementale, les lichens sont aussi très utiles pour étudier les conséquences du développement des activités humaines sur la diversité biologique. Leur observation permet aussi d’analyser l’efficacité des mesures de protection des espèces végétales rares ou en voie de disparition. Là où les lichens disparaissent, on peut pertinemment conclure à la disparition probable d’autres espèces menacées.
Outil d’évaluation
de la qualité de gestion
Ainsi, dans la Réserve naturelle des rochers et tourbières du Pays de Bitche, située en Moselle, les choix de gestion de l’espace naturel ont été évalués en se basant sur l’inventaire des lichens.
Ce site présente un faciès original de taïga et les sommets de ses pitons rocheux panoramiques abritent des lichens remarquables, dont Cladonia stellaris. Cette espèce boréo-continentale est quasiment éteinte en France et, après destruction, sa régénération peut nécessiter plus de quatre-vingt ans.
L’étude a permis de tirer la sonnette d’alarme sur la forte menace que représente la surfréquentation touristique. Les gestionnaires ont pu identifier des choix de gestion prioritaires et, en concertation avec les lichénologues, ont formulé des recommandations pratiques de gestion conservatoire portant particulièrement sur la protection et le suivi des habitats les plus sensibles. Une de ces mesures consiste à aménager des sentiers que les promeneurs sont invités à ne pas quitter.
Une solution généralement efficace, qui a été expérimentée sur les dunes boisées du domaine du Marquenterre (Somme) et qui s’est traduite par une reconquête progressive de la pinède par les lichens terricoles.
Dans la réserve naturelle de Montenach (Moselle), l’étude des lichens a permis de prendre conscience du caractère destructeur du stockage des résidus de défrichage. En effet, les ouvriers évitaient soigneusement les emplacements avec des orchidées et, de ce fait, stockaient sur des lichens ou autres espèces rases.
Ailleurs, sur le littoral, une observation similaire a mis en évidence le caractère trop agressif de l’utilisation du karcher ou de la brosse métallique pour nettoyer des pollutions par hydrocarbures.
Un paradoxe que seuls les lichens pouvaient nous enseigner.

Pour en savoir plus :
Jonathan Signoret. Laboratoire biodiversité et fonctionnement des écosystèmes. Équipe de phytoécologie.
http://rigel.ciril.fr/pages_perso/
Université de Metz
Campus Bridoux, Avenue du Général Delestraint, 57070 Metz
Tél. : 03 87 37 84 24
Fax : 03 87 37 84 23 j_signoret@yahoo.fr

Association française de lichénologie (AFL)
5, square du Vimeu, 78310 Maurepas
Damien Cuny : Laboratoire de botanique, faculté de pharmacie, 3 rue du Professeur Laguesse, BP 83,
59006 Lille cedex.
Tél. : 03 20 96 47 18
http://www2.ac-lille.fr/lichen/