La longue marche

 
Le Dossier

Bernard Chevassus-au-Louis
Inspecteur général à l’agriculture

 

Nous consommons de l’espace. Beaucoup. De plus en plus. Les sols, les « bons », disparaissent et la pression risque fort de s’accentuer. En effet, les villes s’implantent dans les zones de limons et les besoins alimentaires à satisfaire conduisent à la déforestation. Quant aux intérêts économiques, ils accompagnent le mouvement : un terrain qui devient constructible voit sa valeur centupler.
Limiter notre appétit d’espace constitue l’enjeu de ce siècle. Les sols sont un patrimoine dont l’origine remonte aux glaciations et toute l’agriculture du monde prend racine sur quelques dizaines de centimètres d’épaisseur. Il faudra bien continuer à nourrir l’humanité…
C’est pourquoi la consommation d’espace doit également se réfléchir en profondeur. Même en plaine, un sol dénudé peut perdre un millimètre par an quand sa vitesse de formation se compte en centièmes de millimètre.
La question des couverts agricoles, de l’aménagement du territoire, des retenues… et plus globalement de la conservation des sols est d’autant plus essentielle qu’ils sont au cœur des grands cycles chimiques et biochimiques. Qu’il s’agisse du carbone, du phosphore ou du cycle de l’eau, les sols et la vie qu’ils abritent en sont les acteurs silencieux et incontournables.
Le chantier de la connaissance est ouvert, il va constituer une des grandes aventures de ce siècle. Qui sont ces organismes qui vivent dans le sol ? Quel rôle ont-ils les uns par rapport aux autres ? Qu’est-ce qui les fragilise ? On imagine qu’ils ont de fortes capacités de résilience (une bactérie se reproduit toutes les vingt minutes) mais tout est à découvrir et la préservation de la biodiversité des sols doit devenir une préoccupation au même titre que la faune ou la flore, l’air ou l’eau.
Du même coup, la question du statut juridique du sol s’invite au débat. Est-il réaliste qu’il demeure un bien privé, dont chaque propriétaire peut user et abuser ? Ne faudrait-il pas le considérer comme un bien commun dont la possession induit des devoirs et des servitudes environnementales ?
Certes, la stratégie nationale pour la biodiversité fait un lien, fort, entre sol et biodiversité. Il serait opportun d’aller plus loin et d’appréhender la gestion intégrée de l’eau, des sols et de la biodiversité comme un tout en interaction.
La mobilisation politique autour des sols et de leur gestion est encore une longue marche…