Espèces exotiques envahissantes

L’économie au service de la gestion des invasions biologiques

 
Études - Recherches

Marjolaine Frésard, Université de Bretagne occidentale

La science économique s’attache à analyser l’allocation des ressources rares à des fins alternatives. Pour qu'elles soient utilisées le plus efficacement possible, l’économie s’est dotée d’outils d’analyse et d’évaluation, qui sont appliqués au domaine de l’environnement et des ressources naturelles ainsi qu’à l’évaluation des politiques publiques.

système de la pêcherie de coquilles Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc envahie par la crépidule.

Figure 1 : système de la pêcherie de coquilles Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc envahie par la crépidule.

Les invasions biologiques (i.e. les espèces exotiques envahissantes) génèrent souvent des atteintes à l’environnement et aux activités économiques en réduisant les services écosystémiques et l’utilisation efficace des ressources. Ici, la science économique permet d’évaluer les dommages infligés aux sociétés par ces espèces et de mesurer l’efficacité des mesures de gestion possibles.

La première contribution de l’économie à la gestion des invasions biologiques porte sur l’évaluation des dommages. À partir de la compréhension du fonctionnement de l’écosystème et des activités humaines qui y sont attachées, il s’agit d’évaluer monétairement les dommages imposés. Cela concerne les nuisances actuelles et futures générées par l’impact des espèces envahissantes sur les espèces et les écosystèmes autochtones (compétition, prédation, flux de matière) et aussi sur les activités humaines. Les pertes futures sont estimées monétairement en tenant compte de la dépréciation des valeurs monétaires futures par rapport aux valeurs présentes (le fait que par exemple 100 euros d’aujourd’hui valent plus que 100 euros dans dix ans), grâce à la technique de l’actualisation.

Pour cette évaluation, la modélisation bioéconomique permet de simuler de manière conjointe les dynamiques des espèces invasives et natives et leurs interactions, d’une part, et les activités économiques, d’autre part. Dans le cas d’étude de la baie de Saint-Brieuc, cette approche bioéconomique permet de montrer l’évolution combinée d’un système avec une pêcherie commerciale impactée par une espèce exotique envahissante (la crépidule) qui exerce une compétition pour l’espace sur la coquille Saint-Jacques, une espèce indigène exploitée commercialement (figure 1). Ainsi, la perte de valeur de la pêcherie sous l’effet de l’invasion peut être évaluée comme la différence entre la valeur de la pêcherie envahie sans contrôle et celle avec contrôle.

Dans ce cas d’étude, le contrôle consiste en une réduction de la taille de l’invasion (phase d’« attaque ») puis une stabilisation de la surface envahie (phase d’« entretien »). La modélisation bioéconomique estime que le dommage lié à l’invasion est égal à 6 % de la valeur de l’activité de pêche permise par une invasion contrôlée (soit environ 11,5 millions d’euros constants, sur une période de vingt-deux années). Dans le cas de la baie de Saint-Brieuc, seul l’impact de l’invasion sur l’activité de pêche commerciale a pu être évalué. Néanmoins, d’une façon générale, les valeurs monétaires qui peuvent être considérées ne se limitent pas aux valeurs des activités marchandes, mais également à celles des activités non-marchandes, concernant les usages actuels ou futurs, ou à des valeurs intrinsèques.

Crepidula fornicata © H. ZellLa seconde contribution de l’économie porte sur l’évaluation des projets de gestion, qu’il s’agisse de prévention ou de contrôle. Là encore, la théorie bioéconomique de l’exploitation des ressources naturelles renouvelables donne les bases pour représenter sous forme de modèle ces problèmes de gestion. Ensuite, dans la mesure où la gestion des invasions biologiques constitue une forme de bien public, les méthodes classiques d’évaluation des projets publics (analyse coût-avantage, analyse coût-efficacité, analyse multi-critères) permettent d’effectuer les choix efficaces.

Tout d’abord, l’analyse coût-avantage évalue les coûts et les bénéfices (en valeurs actualisées) pour plusieurs alternatives possibles (dont la non-action) et les agrège ensuite pour obtenir le rendement social de chaque projet. Les alternatives possibles consistent en des mesures de gestion différentes et la mise en œuvre d'actions doit être économiquement justifiée et présenter un rendement social positif. Le projet de gestion à retenir sera celui qui procure le plus grand résultat monétaire.

Dans le cas de la baie de Saint-Brieuc, la modélisation bioéconomique a montré, selon les hypothèses adoptées, que le projet de contrôle de l’invasion est une meilleure alternative à la non action car il génère un résultat économique supérieur. Par ailleurs, l’analyse coût-efficacité étudie les alternatives possibles permettant d’atteindre un objectif fixé à l’avance, le projet retenu étant celui qui remplit l’objectif à moindre coût.

De plus, le niveau d’invasion auquel doit faire face le projet est dépendant du temps et la valeur actualisée d’un ensemble de cash-flows dépend de leur répartition dans le temps. Ainsi, la date de départ des mesures de gestion est un paramètre très important pour l’analyse économique et permet d’apporter un éclairage intéressant sur les options de gestion différées dans le temps. En effet, nos résultats montrent que la mise en place immédiate du contrôle de l’invasion est la meilleure solution. Le retardement du départ du contrôle augmente le coût du nettoyage des surfaces envahies et diminue la rentabilité de la pêcherie. L’importante différence d’ordre de grandeur de ces deux valeurs joue en faveur d’un contrôle immédiat.

Qu’il s’agisse d’évaluer l’ampleur des dommages ou de fournir des outils d’aide à la gestion, l’approche économique des invasions biologiques doit être ciblée sur un cas d’étude particulier, s’insérer dans un travail pluridisciplinaire et être en lien avec les acteurs locaux. C’est ainsi qu’une approche économique permet de bien appréhender les enjeux de gestion.