Règlementation

La mise à disposition, une obligation pour les services publics

 

Espaces naturels n°59 - juillet 2017

Le Dossier

Laurent Coudercy, direction de l'appui aux politiques publiques de l'AFB, laurent.coudercy@afbiodiversite.fr,
Olivier Dissard, CGDD du ministère en charge de l'écologie, olivier. dissard@developpement-durable.gouv.fr

Point sur les textes qui font de la mise à disposition une obligation.

Détermination de larves prélevées pour évaluation de l’indice biologique. © Patrick Folliet - PN-Vanoise

Détermination de larves prélevées pour évaluation de l’indice biologique. © Patrick Folliet - PN-Vanoise

En 2015-2016, les lois Valter puis Lemaire ont révolutionné les obligations des services publics en matière d’accès et de réutilisation des données publiques.

Avant ces deux textes, la convention d’Aarhus, entrée en vigueur en 2002, a instauré un droit d’accès aux données environnementales, plus complet que ce que prévoyait la loi française d’accès aux documents administratifs de 1978. Ce droit avait été complété en 2003 par la directive sur la réutilisation des données publiques, puis en 2007 par la directive dite Inspire, visant à la création d’une infrastructure de données géographiques européenne.

Mais l’ensemble de ces textes, et leur déclinaison en droit français, laissait une grande liberté d’action aux services publics, en particulier au niveau de la tarification de mise à disposition des données, et au niveau de la diffusion sur Internet.

La loi Valter de décembre 2015, en transposant la directive sur la réutilisation des données publiques révisée en 2013, a clairement choisi d’imposer la gratuité par défaut de la réutilisation des données et documents publics, sauf pour les fonds de numérisation des bibliothèques et pour les données de certains établissements dont la production d’information est l’activité principale et dont l’équilibre budgétaire est dépendant de la vente de licences (trois EPA concernés : IGN, SHOM et Météo-France). Les catégories de données concernées sont listées dans le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) qui est le cadre de codification de toutes les dispositions des lois Valter et Lemaire (et des lois précédentes).

La loi Lemaire d’octobre 2016 a complété ce dispositif en organisant de manière plus efficace ces mises à disposition. Pour ne citer que les points de cette loi ayant un impact sur la mise à disposition des données, désormais :

L’échange de données entre administrations est obligatoire pour l’accomplissement des missions de service public. Il n’avait jusqu’à présent aucun cadre normatif hors Inspire et le Code de l’environnement. Ces échanges sont même gratuits au sein de la sphère État et EPA.

Les code sources font partie des informations publiques et tout algorithmeutilisé pour l’élaboration d’une décision individuelle doit être communiqué à toute personne concernée qui en fera la demande, accompagné des règles et des données utilisées.

Les données numériques doivent être rendues accessibles dans des formats ouverts, aisément réutilisables, et lisibles par des logiciels.

Les services publics doivent mettre en ligne sur Internet les données (et les documents s’ils sont numériques) qui leur ont été demandées en accès, les bases de données mises à jour régulièrement, et en particulier quand elles présentent un intérêt environnemental. Seuls sont exemptés les services publics de moins de cinquante salariés et les collectivités de moins de trois-millecinq- cents habitants.

Les droits des administrations découlant du Code de la propriété intellectuelle ne peuvent plus faire obstacle à la réutilisation de leurs données.

Les services publics ne peuvent utiliser couramment qu’un ensemble limité de licences, fixé par décret (licence ouverte ou ODBL) dans le cas des réutilisations gratuites par le privé.

Un service public de la donnée est créé qui a pour objectif de diffuser des données de référence (neuf données sont concernées dans un premier temps dont la BAN, le PCI vecteur, le RGE, le RPG, le COG) avec un haut niveau de qualité de diffusion.

Enfin des règles spécifiques sont prévues permettant aux chercheurs de rendre gratuitement accessibles leurs écrits, même publiés dans une revue, et aux organismes de recherche de rendre accessibles les données de recherche, si leur financement est à 50 % public.

Avec ces deux lois, les services publics français rentrent de plain-pied dans le mouvement Open Data, qui jusqu’ici était le choix de quelques collectivités locales et de la plupart des services de l’État.

Dans ce nouveau cadre législatif, quelles sont les modalités de mise à disposition des données pour un service public ? En voici un résumé, bien évidemment simplificateur, mais qui s’applique dans la majorité des cas :

La première obligation, la plus ancienne, est l’obligation d’accès, qui s’applique de fait depuis 1978. Toute personne ou organisme, qui en fait la demande auprès d’un service public, peut gratuitement consulter ou obtenir une copie d’un document ou d‘une donnée publique (sauf s’il est concerné par une des restrictions prévues par la loi, dont le risque que sa divulgation ferait courir pour l’environnement). Le service public a un mois pour répondre, et ne peut demander à la personne aucun élément d’information (ni son nom, ni les raisons de cette demande, ni ce qu’elle envisage de faire avec). Le demandeur peut, en cas de refus ou de délais trop long, se tourner vers la CADA, puis vers le tribunal administratif.

La seconde, qui date de 2005, est le droit de réutilisation commerciale de ces documents ou données rendus accessibles (sauf en cas de propriété intellectuelle d’un tiers non public). Désormais ce droit de réutilisation est gratuit lui aussi, sauf pour les catégories de données du SHOM, de l’IGN, de Météo-France et des fonds de bibliothèque mentionnées dans le CRPA, et les seules obligations du demandeur portent sur la citation de la source, et de de ne pas dégrader l’information.

La troisième obligation, est la diffusion sur Internet de données et documents. Cette obligation a pris de l’ampleur progressivement, avec en particulier les obligations issues de la directive Inspire, qui impose des modalités technologiques spécifiques pour des données géographiques utiles à l’environnement. Désormais, toutes données ou documents qui ont fait l’objet d’une demande d’accès, ainsi que les bases de données mises à jour régulièrement, et en particulier quand elles présentent un intérêt en particulier environnemental, doivent être diffusés sur Internet. Cette obligation de publication est une changement de paradigme. Seuls les services publics de moins de cinquante salariés et les collectivités de moins de 3500 habitants, ainsi qu’IGN, le SHOM et Météo-France, échappent en partie à ces obligations.

La pleine application de ces textes prendra du temps. L’expérience montre que dix ans après, certains services publics ignorent encore leurs obligations découlant du droit de réutilisation de leurs données. Il faudra surtout que les services publics s’organisent pour répondre à leurs obligations, ce qui peut demander des moyens et certainement du temps.

Mais, au-delà des obligations juridiques réelles, trois enjeux sont importants à noter : celui de la transparence de l'action publique, celui de la transition numérique et celui de l'amélioration des services publics eux-mêmes. La convention d’Aarhus a eu pour raison principale de faciliter la prise en compte de l’environnement dans les décisions publiques et par les citoyens. La loi Valter et la loi Lemaire complètent ce mouvement : reste à chaque service public à les mettre en oeuvre progressivement.