Risque

Données sensibles, naturalistes prudents ?

 

Espaces naturels n°59 - juillet 2017

Le Dossier

Julien Touroult, UMS PatriNat (AFB-MNHNCNRS), touroult@mnhn.fr

Un argument fort des naturalistes réticents au partage est que des personnes mal intentionnées pourraient détruire ou piller les éléments remarquables qui seraient ainsi divulgués. Analyse d'un cas particulier de restriction de la diffusion.

Grotte du Prével - Murin de Daubenton (Myotis daubentoni) mesures biométriques pour inventaire.

Grotte du Prével - Murin de Daubenton (Myotis daubentoni) mesures biométriques pour inventaire. © Laurent Mignaux - Terra

Le cas des données sensibles, reconnu par le droit relatif à l’information environnementale, est défini dans le protocole du SINP* : il s'agit des données qui ne doivent pas être largement diffusées pour éviter de porter atteinte aux éléments qu'elles concernent. En suivant les travaux internationaux du GBIF et en s'appuyant sur une large consultation, un groupe de travail partenarial, coordonné par le MNHN, a proposé des critères qui doivent être réunis pour définir une espèce comme potentiellement sensible :

Le risque d’atteinte volontaire. Par exemple, est-ce que l’espèce est sujette à prélèvement pour la consommation, la pharmacopée, la collection, l’horticulture… à destruction volontaire, ou est-ce que son attrait risque d’attirer de nombreux curieux ou naturalistes ?

La sensibilité intrinsèque de l'espèce. Par exemple, l’espèce est-elle menacée au sens d'une liste rouge, ou très localisée dans la région ?

L’effet probable de la diffusion de l'information. Est-ce que la disponibilité de l’information augmenterait le risque d’impact ? Ceci notamment dans le cas où l'on trouve déjà des informations précises dans la bibliographie et sur internet.

Des aspects de contexte complètent ces critères : l’ancienneté de l'observation et le statut biologique. Par exemple, l’endroit précis de nidification de la Cigogne noire est considéré comme une donnée sensible, alors qu’une observation en migration n’est pas sensible.

UNE DIFFUSION À GÉOMÉTRIE VARIABLE

Concrètement, les données sensibles sont partagées entre plateformes du SINP au niveau de précision maximale mais leur diffusion est différenciée :

Pour l’accès et la visualisation par tout citoyen, la localisation est floutée et la donnée communiquée à la commune, à la maille de 10 x 10 km voire uniquement par département pour les données les plus sensibles ; pour accéder à la donnée précise, une demande motivée, nominative, doit être formulée et acceptée.

Pour des acteurs habilités (par exemple les services de l’État, les gestionnaires d’espaces naturels) la donnée précise est accessible (accès avec mot de passe).

S’agissant d’espèces rares et/ou menacées, il est primordial que l’information puisse servir à prévenir un impact dû à l'ignorance, sans pour autant entraîner un risque accru sur les espèces. Aucune enquête n'a été menée à ce jour permettant de dire si les cas d'espèces détruites relèvent davantage de l'ignorance ou de la malveillance. Mais l’enjeu est aujourd’hui de faire fonctionner ce système vertueux : finir d’établir les listes régionales des espèces sensibles, identifier les données sensibles dans les bases de données, gérer rigoureusement les droits d’accès et surtout convaincre les naturalistes de les partager.

* En référence à l’article L.124-4 du Code de l’environnement