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Espaces naturels n°47 - juillet 2014

Le Dossier

Thierry Lengagne
chercheur au CNRS

 

La bioacoustique constitue une approche intéressante pour travailler sur la biodiversité. Les signaux émis par les animaux peuvent en effet apporter de nombreux renseignements pour leur gestion : outre la présence d’une espèce, elle peut donner l’indication d’une provenance ou de caractéristiques physiques au niveau individuel.

© Indygnome

Dans le monde animal, de très nombreuses espèces utilisent les signaux acoustiques pour communiquer. Nous pensons naturellement aux gazouillis des oiseaux, mais c’est aussi le cas des anoures, des insectes (criquets, papillons nocturnes…), des mammifères (brame du cerf, ultrasons des chiroptères) et même des poissons ! Ces signaux permettent de véhiculer différents types d’informations entre l’émetteur qui produit les signaux et le récepteur qui va les percevoir. Ainsi, selon le contexte comportemental, le signal servira-t-il à témoigner de la vigueur d’un mâle, d’un territoire occupé ou de la présence d’un danger imminent.

Depuis longtemps, l’homme a cherché également à comprendre quelles informations étaient présentes dans ces vocalisations afin de pouvoir les utiliser. Pour de nombreuses espèces, les signaux acoustiques constituent des indices de présence faciles à utiliser. C’est le cas pour toutes les espèces nocturnes bien difficiles à détecter en journée mais aussi pour toutes les espèces qui vivent en milieu fermé et qui sont difficiles à observer (roselière, forêt).

Chez un certain nombre d’espèces, les signaux portent aussi des informations géographiques, communément appelées dialecte ou accent. Ainsi Jean Joachin a mené un travail d’ampleur en enregistrant les strophes émises par le pinson des arbres des principaux massifs forestiers de Haute-Garonne et du Tarn-et-Garonne. Dans chaque grand massif, les oiseaux possèdent une petite mélodie propre, un dialecte, qui pourrait permettre de détecter des oiseaux qui passeraient d’un massif à l’autre. Chez certaines espèces, il existe des marqueurs acoustiques propres au groupe social auquel les animaux appartiennent.

C’est le cas chez la chauve-souris Saccopteryx bilineata chez qui les juvéniles vont apprendre la signature de leur groupe social, signature qui fonctionnera comme un mot de passe pour rentrer dans leur colonie. Les signaux acoustiques peuvent aussi véhiculer une information sur le sexe de l’oiseau émetteur. Ainsi a-t-il fallu attendre la fin des années 1970 pour être en mesure d’identifier le sexe des manchots du genre Aptenodytes grâce au rythme d’émission du chant utilisé lors des retrouvailles. Ces vingt dernières années de nombreux travaux ont mis en évidence la présence de signatures vocales individuelles, véritable pièce d’identité des individus. Ces marqueurs peuvent être de simples témoins du fait que chaque individu est unique ou, au contraire, être sélectionnés par l’évolution pour permettre aux individus appartenant à des espèces coloniales ou à des espèces grégaires de se reconnaitre individuellement. La présence de ces marqueurs individuels peut être mise à profit par un observateur humain. Au début des années 2000, j’ai réalisé une étude sur les chants de hibou grand-duc pendant plusieurs années, à la fois en milieu naturel (Parc naturel régional des volcans d’Auvergne) et en captivité afin de travailler sur l’utilisation des signatures individuelles comme méthode de baguage acoustique des animaux. Non seulement il est possible d’identifier sans erreurs les individus grâce à l’enregistrement de leurs chants mais les analyses ont aussi montré que ces signatures étaient stables pendant plusieurs années.

Un simple enregistrement permet d’identifier avec certitude les individus et d’éviter les doubles comptages. Cette technique permet aussi d’évaluer le nombre de postes de chant d’un individu ou l’étendue de son territoire. Cette méthode est susceptible d’être utilisée chez de nombreuses espèces comme le blongios nain, le butor étoilé, le râle des genêts ou la chouette chevêchette. En plus d’informations sur l’espèce, la population, le groupe social, le sexe ou l’individu, des études récentes ont mis en évidence l’existence d’informations sur la qualité même des différents individus émetteurs. Ainsi, chez les espèces capables d’apprendre de nouveaux motifs vocaux toute leur vie, est-il possible de connaître la classe d’âge des individus grâce à l’écoute des signaux émis. Une étude réalisée chez le rossignol philomèle a montré que le répertoire des individus âgés qui compte plus de 150 motifs en moyenne est supérieur de 53 % à celui des individus plus jeunes. De même, des travaux réalisés en Ecosse sur la chouette hulotte ont révélé qu’une infection parasitaire des animaux altère la fréquence des chants qui seront plus aigus mais aussi leur longueur (chant plus court).