Haut-Jura

Des belvédères pour l’oreille

 

Espaces naturels n°47 - juillet 2014

Le Dossier

Marie-Pierre Reynet
chargée de mission Culture, Parc naturel du Haut-Jura

 

Depuis près de 20 ans, le Parc naturel régional du Haut-Jura développe une réfl exion sur la qualité et la variété des effets sonores de son territoire

La qualité acoustique des paysages du Haut-Jura tient d’abord à la nature calcaire du sol qui favorise la propagation des vibrations. De plus, les eaux de ruissellement ont creusé le sous-sol comme un véritable gruyère, formant un monde souterrain de galeries et de grottes qui se comportent comme autant de caisses de résonance. En surface, le relief contribue lui aussi à l’amplifi cation de ces phénomènes : l’ondulation régulière des combes comme l’abrupt effondrement des gorges, des canyons ou des reculées ajoutent encore aux potentialités sonores des paysages. De la même manière qu’ils offrent des points de vue, les paysages proposent des points d’écoute privilégiés. Ces points d’écoute ont fait l’objet d’un inventaire systématique par l’association ACIRENE (Lyon) en 1990. Un inventaire dont la méthodologie s’inspirait des recherches sur l’écologie sonore, initiées par le canadien Murray Schafer (cf page 24), et qui fut précurseur en matière de recherche et de sensibilisation aux sons de la nature.

DES ÉVÉNEMENTS SONORES QUI FONT PARTIE DU PATRIMOINE

Sur le territoire du Parc naturel du Haut-Jura, 80 sites ont été répertoriés et classés en deux grandes catégories : les « points d’ouïe » et les « sites ponctuels auriculaires ». Les points d’ouïe sont des points d’écoute privilégiés, tout comme les belvédères sont des points de vue privilégiés, permettant une écoute à 360°. Les sons s’apprécient très distinctement depuis, le plus souvent, une bosse du relief. Les espaces peu urbanisés offrent en outre une qualité d’écoute et une grande diversité d’évènements sonores qui varient avec les saisons. Faune, activités humaines, pratiques sociales (comme l’ensonnaillement par exemple) s’entendent comme des événements sonores faisant partie intégrante du patrimoine du territoire du Parc. Les sites auriculaires, ou sites sonores se caractérisent quant à eux par leur faculté à faire écho : simple, multiple lorsque le son se répercute plusieurs fois de suite, ou à résonance lorsque le son revient étiré et transformé (temps de réverbération sonore que l’on retrouve dans les églises ou les cathédrales). Auditoriums naturels, ces sites restituent assez fi dèlement les sons (naturels ou musicaux).

UN PICTO SUR LA CARTE IGN

La valorisation de ces sites (points d’ouïe et sites sonores) en particulier, et la sensibilisation à la dimension sonore du territoire en général, font l’objet de nombreuses actions sur le territoire du Haut-Jura, et ce dans de nombreux domaines : pédagogie, aménagement de sites, signalétique (les points d’écoute font l’objet d’un pictogramme spécifi que sur les cartes IGN), actions de valorisation et de promotion touristique, et enfi n, valorisation culturelle notamment par l’organisation d’événements ponctuels en sites sonores (concerts, installations artistiques jouant sur les spécificités acoustiques du lieu).

 

Espaces de performances pour les artistes, d’écoute privilégiée pour les audio-naturalistes, les sites sonores et les points d’ouïe sont surtout, et au-delà de leurs caractéristiques strictement topographiques, une façon de souligner l’enjeu que représente aujourd’hui la qualité sonore des territoires peu denses, tout comme on parle aujourd’hui de la qualité du ciel étoilé. Cependant, cette qualité sonore ne se réduit pas aux sons naturalistes ; l’environnement sonore n’est pas exempt de sons provenant des activités humaines contemporaines. Elles composent, à leur manière, la musique du paysage tant qu’elles ne représentent pas une dégradation de la signature sonore et du patrimoine sonore du territoire.