>>> Évaluer l’impact de ses outils de communication

On a filmé l’attaque des loups

 

Espaces naturels n°6 - avril 2004

Gestion patrimoniale

Cécile Dubuit
Psychosociologue environnementaliste

 

Des loups attaquent… Le troupeau est défendu par des chiens patous… L’action, violente, est filmée par les agents du Parc national du Mercantour. Cette vidéo constitue un outil de communication mais quel impact a-t-elle réellement sur les spectateurs ? Chargée de l’évaluation, Cécile Dubuit, psychosociologue environnementaliste, formule de grandes réserves quant aux effets de ce document.

Août 2000. Depuis plusieurs nuits déjà, des agents du Parc national du Mercantour font le guet. Caméra thermique au poing, ils espèrent filmer l’attaque d’un troupeau d’ovins par des loups. Or, cette fois c’est la bonne : deux loups tentent d’attaquer, ils s’affrontent violemment aux cinq chiens patous qui protègent le troupeau. Les agents se taisent, ils figent l’action sur la pellicule, ils produiront des images exceptionnelles : un document unique présentant les faits le plus objectivement possible.
Les acteurs du programme Life loup souhaitent sensibiliser le public au travail des chiens de protection, mais peut-on se servir du film qui vient d’être produit pour atteindre ce résultat ? Peut-on préjuger des effets produits par ces images ?
Pour connaître l’impact d’un tel vecteur de communication, l’évaluation est méthodologiquement organisée.
Les spectateurs sont divisés en trois groupes ordonnancés en fonction de la nature de leur implication dans la problématique. On trouve en premier lieu des professionnels de l’élevage ; en second des agents administratifs en charge du dossier loup et, troisième catégorie, des personnes dont les activités sont indirectement liées à la question tels des élèves maîtres-chiens ou encore des membres d’associations de défense de la nature.
Tous doivent répondre à deux séries de questions ouvertes et fermées. La première, avant la projection du film, permet de sonder leur avis quant à l’efficacité des mesures de protection promues par le programme Life ; la seconde, après le film, vise à évaluer l’impact du document et notamment l’évolution des opinions.
Des résultats surprenants
L’analyse des données recueillies fait apparaître d’intéressants et surprenants résultats. Ainsi, le film ne fait pas changer d’avis les participants, au contraire, il conforte chaque groupe dans son opinion préalable. La raison en est que chacun interprète différemment les images présentées.
Ainsi les personnes convaincues, avant la projection, de l’efficacité des chiens patous (agents administratifs et personnes n’exerçant pas une activité d’élevage) affirment que le document est riche en connaissances sur le comportement des chiens, sur le loup et ses techniques de prédation. La vidéo, témoignent-ils, engendre beaucoup de questionnements. Pour eux, ce document est porteur d’espoir.
En revanche, les professionnels de l’élevage, plus réticents à l’utilisation des chiens et plus réservés quant à leur efficacité, soutiennent que le film apporte peu de connaissances nouvelles. Ils jugent la vidéo extrêmement décourageante et expriment une opposition au loup plus affirmée.
L’exemple de la pugnacité des chiens à repousser les loups illustre bien ces différences. Soulignée par l’ensemble des participants, elle est, pour les premiers, impressionnante et révélatrice de leur efficacité, alors que, pour les seconds, elle reste insuffisante et indissociable d’un constat d’échec : deux bêtes tuées cette nuit-là, l’ensemble du troupeau stressé et un chien blessé…
Ces résultats amènent donc à formuler de grandes réserves quant au bien-fondé de l’utilisation de ce document en tant qu’outil d’information et de sensibilisation au travail des chiens pour les professionnels de l’élevage.
Toutefois, si notre étude révèle que cet outil n’est pas adapté à l’ensemble de la population, elle fait apparaître un atout majeur : il amène les individus, quel que soit leur groupe d’appartenance, à s’exprimer plus facilement et les incite à faire part de leurs opinions. Ce rôle facilitateur de la communication, voire désinhibiteur, nous apparaît essentiel. Il favorise la connaissance et la compréhension des attentes, besoins et intérêts de chacun, étape primordiale à la résolution du conflit. Soulignons encore combien l’évaluation d’un outil de communication est d’importance. En mettant en lumière les conditions d’utilisation de cet outil adaptées à chaque public, elle permet, de l’inclure à bon escient dans une stratégie de communication.