Les petits pas du géant

 
La parole à Maxime Sizaret

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Vu ailleurs

Maxime Sizaret
Chargé de mission Patrimoine naturel Causeway coast and Glens heritage trust. Nord de l’Irlande du Nord.

 

Encore préservés, les territoires du Nord de l’Irlande du Nord sont gérés par le Causeway coast and Glens heritage trust, un organisme qui regroupe les collectivités locales, les acteurs locaux et le National trust (ONG que l’on peut comparer au Conservatoire du littoral français).  Ce gestionnaire (les financements proviennent essentiellement de l’État et de l’Europe), qui a fait le choix du tourisme durable, se heurte aux difficultés de sa mise en pratique.

Vous travaillez au développement du tourisme sur un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco où domine l’activité agricole. Ce choix, de booster la fréquentation n’est-il pas contradictoire avec la protection de l’environnement ?
C’est un choix raisonnable. L’Irlande du Nord est certes préservée mais les exploitations agricoles fonctionnent grâce aux nombreuses aides européennes et notamment au programme Peace1, lequel s’oriente dorénavant vers le soutien de projets en milieu urbain. La filière agricole va connaître des difficultés. On voit, par exemple, comment à la veille de leur retraite les agriculteurs s’en sortent en construisant une maison qu’ils vendent ensuite à des habitants de Belfast.
Ce type de comportement a créé bien des dégâts en Irlande du Sud. Des bungalows mitent le paysage et, en outre, ne possèdent aucun système efficace de traitement des eaux usées.
En anticipant, on peut espérer ne pas aller dans ce sens et ne pas renouveler l’expérience de Cushendun, un très beau village « blanc », aire de conservation au cœur duquel, il y a sept ans, un promoteur a construit des immeubles qui défigurent la côte. Voilà pourquoi, en 2002, les collectivités locales de notre territoire (constituées à travers le Causeway coast and Glens heritage trust) ont défini des axes stratégiques pour le développement d’un tourisme durable.
Il y a quelques années encore, la fréquentation était quasiment nulle…
Effectivement. Jusqu’à 1998, date de l’arrêt des troubles, les gens ne venaient pas en Irlande du Nord. Tout au plus passaient-ils une journée à la Chaussée des géants puis ils repartaient immédiatement. En cinq ans, on compte 40 % de visiteurs supplémentaires : 800 000 cette année. La Chaussée des géants est le seul site d’Irlande du Nord visité par des Japonais et des Américains.
Comment passez-vous des axes stratégiques à la pratique ?
C’est un réel défi. Décréter qu’il est plus important de protéger le patrimoine que les intérêts individuels ou encore, dire que la communauté d’accueil joue un rôle important dans l’authenticité de l’offre, c’est bien, mais encore faut-il le traduire en actes. Or là, il faut reconnaître que c’est vraiment difficile. D’autant qu’ici, nous sommes les pionniers de ce type de tourisme et que nous ne recevons pas tout le soutien du gouvernement.
En 2005, le gouvernement d’Irlande du Nord a pourtant été partie prenante dans la préparation du plan de gestion du site.
Certes. Mais le gouvernement irlandais n’a pas placé l’écologie parmi ses priorités. Sans doute parce que l’Irlande du Nord apparaît préservée et que, malgré l’urbanisation qui se développe en milieu rural, la conscience du risque environnemental n’a pas encore émergé. Notre pays qui veut profiter du développement économique n’a encore qu’une vision à court terme du tourisme.
Récemment par exemple, nous avons travaillé à la mise en place d’un label d’entreprise Green award respectant des critères précis pour un tourisme durable. Nous avons sélectionné une dizaine d’hôtels, bed and breakfast… Nous les avons soutenus financièrement pour qu’ils se mettent aux normes. C’était une action pilote et nous pensions que le département du Tourisme allait s’en saisir pour promouvoir ce label sur d’autres territoires. Mais non, c’est tombé à plat.
De même, nous avons travaillé sur un projet Visitor pay back. Cela consiste à prendre une partie des revenus touristiques pour les réinvestir dans la gestion d’un site. Nous avons conduit l’étude sur Rathlin island (sur une île, il est plus facile de contrôler les passages). Mais pour l’instant nous n’avançons pas. Nous sommes sans cesse en train de remémorer à nos partenaires d’État la place importante du tourisme durable dans le monde.
Notre organisme de gestion, qui couvre pourtant une très grande partie de l’Irlande du Nord, est sous-financé par l’État. Le département de l’Environnement désire que nous gérions les aires de beauté naturelle sans nous en donner les moyens. Nous ne sommes que trois employés par exemple. Jusqu’ici, nous avons pu travailler grâce
à l’argent de l’Europe, obtenu dans le cadre de l’ancien programme Peace ; aujourd’hui, c’est plus difficile.
Vous faites état de difficultés économiques et politiques. D’autres choses sont difficiles encore ?
Le contexte juridique et les mentalités sont également des handicaps. Ainsi par exemple, parmi les axes stratégiques nous avons retenu de développer l’accès à la nature qui, chez nous, est assez restreint. Les propriétaires n’apprécient guère qu’on vienne sur leurs terres. Question de mentalité mais également de responsabilité civile. Pour faire face, l’organisation qui essaie de créer des sentiers prend l’assurance à sa charge.
Nous n’avons toujours pas de sentier du littoral et nous avons du mal à pénétrer en forêt. En effet, malgré des terres pauvres, le service des Forêts de la province est très tourné vers la production de bois. Peur de l’envahissement, du conflit, problème de sécurité ? Quoi qu’il en soit, le service des Forêts commence à peine à introduire le tourisme dans sa stratégie.
Mais nous avons quelques jolis circuits dont le Causeway coast way, un très beau sentier en haut des falaises.
Quelques bottes secrètes vous permettent d’obtenir des résultats ?
Notre force réside dans l’organisation des communautés et des associations. L’histoire et la culture locale font que chaque hameau est organisé en communauté, en comités, qui ont un réel pouvoir.
Récemment, à l’annonce d’un projet de traitement de déchets dans une aire de beauté remarquable, ils se sont aussitôt mobilisés contre avec une efficacité redoutable. Je ne pense pas que le projet voit le jour.
Aussi, pour développer un projet de village, je peux très rapidement me mettre en contact avec les quelques personnes responsables des community groups.
Du reste, les représentants de ces communautés participent au comité de gestion et c’est très efficace.
Comment se prennent les décisions ?
Au sein du Coast and Glens heritage trust, les élus locaux et les acteurs du territoire sont décideurs, les représentants de l’État sont présents en tant qu’observateurs.
Malgré toutes ses difficultés, êtes-vous optimiste ?
Au niveau local, les conflits d’intérêts commencent à être dépassés.
À la Chaussée des géants, la collectivité locale et le National trust - gestionnaire du site - essayaient chacun séparément de bénéficier au mieux du tourisme dans
une bagarre permanente. Sans réflexion concertée, tous deux possédaient, par exemple, un centre d’accueil rival.
Depuis que le gouvernement a annoncé qu’il allait soutenir un projet privé de centre d’accueil, les différends ont stoppé net. Les acteurs travaillent ensemble dans leurs intérêts réciproques.
Allez-vous vers un tourisme durable ?
Les choses s’organisent dans ce sens. Nous ne pouvons pas aller plus vite mais il y a des signes forts. Jusqu’ici par exemple, l’université développait des thèses sur le développement du tourisme à outrance. Or, récemment, on a pu voir un nouveau professeur ayant travaillé au Canada et en Nouvelle Zélande promouvoir le tourisme durable. 
Par ailleurs, nous avons quelques atouts car les gens sont fiers de là où ils vivent. Les populations ont une réelle volonté de préserver le paysage et le ministère de l’Agri-culture attribue des subventions aux exploitants pour qu’ils maintiennent les haies ou les murs en pierre par exemple.
L’agriculture non intensive est également encouragée. Il y a de plus en plus de financements en faveur de la production locale comme étant une garantie de qualité.
Je vous l’ai déjà dit, je crois que la population est notre atout maître. C’est d’ailleurs le sens de mon travail : œuvrer pour faire connaître les expériences qui vont dans le sens du développement durable. Il est important que les groupes locaux nous appuient.

Recueilli par Moune Poli

1. Mis en place pour aider à la reconstruction économique à l’issue du conflit irlandais.