Préjudice environnemental : un nouvel outil juridique mais…

 

Espaces naturels n°24 - octobre 2008

Droit - Police de la nature

Chantal Gil-Fourrier
Avocate spécialisée en droit public

 

Après avoir reconnu la notion de préjudice moral et matériel, le droit français reconnaît dorénavant le préjudice environnemental. Les gestionnaires pourront donc s’en prévaloir à condition d’avoir accumulé leurs preuves.

En 2004, le droit européen donnait un cadre juridique à la responsabilité environnementale. Fondé sur le principe « pollueur payeur », celui-ci a joué un rôle précurseur en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.
Cette philosophie a porté ses fruits. Le droit français a peu à peu intégré ces évolutions.
La question de la responsabilité environnementale a fait son entrée par l’intégration de la charte de l’Environnement dans l’arsenal juridique français : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ; toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi. » Sans cadre juridique strict, la valeur morale de cet article l’emportait immanquablement sur la réalité pratique de mise en œuvre.
Une grande avancée a ensuite été réalisée par la jurisprudence française. En effet, la décision du tribunal correctionnel de Narbonne du 4 octobre 2007 concernant le Parc naturel régional de la Narbonnaise, suivie par la décision médiatique du tribunal de grande instance de Paris du 15 janvier 2008 relative à l’Erika, a reconnu l’existence d’un préjudice environnemental et donné les premiers éléments de réponse sur les modalités de calcul de ce préjudice. Nécessairement amenées à être reprises et affinées, ces premières jurisprudences sont une mine d’informations pour les gestionnaires d’espaces naturels qui auront à intégrer ces données dans leur mode de gestion.
La nouvelle loi du 1er août 20081, transposant la directive du 21 avril 2004, a donné un cadre juridique à la responsabilité environnementale. En application du principe pollueur payeur, la loi définit les conditions dans lesquelles sont prévenus ou réparés les dommages causés à l’environnement par l’activité d’un exploitant. Le texte prévoit la mise en place de mesures de prévention et de réparation, ainsi que la détermination de nouveaux pouvoirs de police pour l’autorité administrative. Il est cependant prévu qu’un décret en Conseil d’État fixe un certain nombre d’éléments essentiels pour mettre en œuvre les dispositions de la loi.
Afin d’apprécier l’importance de l’avancée juridique en la matière, il convient de distinguer les préjudices matériels et moraux (reconnus de longue date par le juge), du préjudice environnemental « pur ».
Les deux premiers sont causés aux personnes et aux choses par l’intermédiaire du milieu dans lequel elles vivent. On qualifiera ainsi de préjudice matériel les frais de nettoyage et de remise en état du site pollué ou les pertes de revenus liés au tourisme. Une réparation du préjudice moral pourra être demandée pour l’atteinte portée à l’image de marque du site.
La nouveauté réside dans la reconnaissance d’un préjudice environnemental. Il peut être défini comme « un dommage causé à l’environnement lui-même, abstraction faite de tout préjudice que subissent ceux qui en exploitent les ressources »2. Les gestionnaires d’espaces naturels disposent donc désormais d’un nouvel outil juridique. Les trois chefs de préjudices pourront le cas échéant donner lieu à réparation.
En cas de dommage environnemental, ces derniers pourront se constituer partie civile afin d’obtenir réparation de leur préjudice environnemental, outre la réparation de leurs préjudices matériels et moraux.
Concernant les gestionnaires d’espace publics, le juge français a cependant réduit cette possibilité à ceux disposant d’une compétence spéciale en matière d’environnement. Cette compétence doit leur être conférée par la loi.
Il conviendra enfin pour ces personnes morales de prouver le préjudice causé à l’environnement lui-même, à savoir aux espèces, aux habitats naturels, aux eaux ou aux sols.
Une difficulté liée à l’évaluation de ce préjudice se pose immanquablement. Comment apprécier en termes monétaires la valeur d’une plage, d’un oiseau, d’une forêt ? Différentes méthodes d’évaluation sont proposées, comme la « méthode des coûts de transports »3 caractérisée par le prix que les usagers de l’environnement consentent à payer pour la protection d’une espèce, ou à recevoir pour accepter la destruction d’un habitat. Les gestionnaires des espaces naturels auront intérêt à inventorier de manière beaucoup plus précise la richesse de leur patrimoine écologique.
Se pose enfin la question de la légitimité des gestionnaires d’espaces naturels à obtenir des dommages et intérêts pour la réparation du préjudice environnemental, du fait du caractère universel de la nature. À défaut d’être propriétaires de ces espaces, il semble possible de considérer que ces gestionnaires en ont « l’usufruit », et sont à ce titre garant de leur protection.
La philosophie, plus large que le droit, nous invite à être tous garants de cette protection de la nature qui appartient à tous et à personne en même temps.

1. n° 2008-757
2. A. Kiss, Droit international de l’environnement, Pédone, 1989, 110 pages.