Isère

Tout schuss, sans déranger

 

Espaces naturels n°53 - janvier 2016

Pédagogie - Animation

Igor Frey, accompagnateur en Montagne / Sempervirens

Les pratiquants de sports d'hiver gèrent le risque avalanche. Pourquoi ne gèreraient-ils pas le risque de dérangement de la faune ? Un bon moyen d'approche pour susciter l'intérêt sur la thématique.

Le contact humain est le meilleur vecteur des messages de sensibilisation

Le contact humain est le meilleur vecteur des messages de sensibilisation © Le Dauphiné Libéré / J.-B. Vigny

La démarche que je développe au travers de mes interventions et des outils que j'utilise part du constat que la contrainte et les interdits, même expliqués, ne sont pas suffisants à une bonne sensibilisation. Elle donne souvent lieu à un sentiment de brimade et de frustration chez les usagers du milieu.

Afin de sensibiliser les pratiquants de la montagne au dérangement de la faune en hiver (tétras lyre, lagopède, lièvre variable...), il faut prendre en compte la spécificité du public  : il s'agit, pour les skieurs de randonnée, d’adeptes souvent très centrés sur leur activité et la performance (aller vite, faire un maximum de dénivelé, etc.) ou sur le plaisir de la glisse (profiter de la bonne neige, faire sa trace, etc.). Sans les caricaturer, il faut tout de même considérer qu'une bonne partie des skieurs est focalisée sur ses spatules et n'accorde que peu d'intérêt au milieu qui l’entoure.

Selon moi, il faut passer par plusieurs phases pour voir un réel impact sur leur pratique. Comme dans d'autres domaines de sensibilisation, la première étape doit être sensitive : éprouver, sentir, se mettre dans la peau d'un être vivant, pour comprendre la problématique. Alors peut survenir la démarche d'analyse, d'apprentissage de l'écologie des espèces : savoir pourquoi un animal vit comme cela, a cette écologie de vie ; quelles sont ses particularités, ses besoins  ? Alors, on peut aborder la notion de protection  : comment faire ? Que mettre en place pour la sauvegarde de l’espèce et de son milieu ?

ADOPTER L'ÉCHELLE DU RISQUE DÉRANGEMENT

Un outil pratique pour évaluer le risque de dérangementPour adapter mon animation à ce public spécifique, j'ai essayé de mettre en place des outils dédiés. L'idée est de faire appel à un langage commun, des références connues et d'impliquer un maximum les pratiquants dans l'évaluation des risques de dérangement et de vulnérabilité de la faune. J'ai donc créé une échelle de perturbation de la faune en hiver sur le même principe que l'échelle d'estimation du risque d'avalanche. Le but est d'évaluer, en fonction des conditions d'une journée, le risque sur la faune en cas de dérangement. À partir de critères simples (hauteur de neige, température ...) et à l'aide de cet outil, le pratiquant est impliqué dans l'analyse des conditions défavorables pour les animaux (ce qui induit un apport de connaissance). Il peut alors en déduire, par une méthode de calcul très simple, un niveau de risque sur une échelle « type avalanche ». Cela ne renvoie pas à un « feu vert  /  feu rouge  » mais, sans notion d’interdit, à un conseil sur l'adaptation de l'itinéraire et sur la bonne conduite à avoir sur le terrain.

Cette échelle n'est qu'un outil, qui n'est pertinent que s'il est amené de manière cohérente. Tout comme les informations type panneaux signalétiques n'ont qu'une faible efficacité lorsqu'elles sont livrées à ellesmêmes, l'idée n'est pas de publier cet outil et de le distribuer aux pratiquants dans les magasins ou sur les départs de randonnée. Le but est de l'adjoindre à une campagne de sensibilisation de terrain  : aller à la rencontre des randonneurs et leur expliquer les risques pour la faune pendant leur sortie.

La campagne « pilote » a été mise en place lors de l'hiver 2014-2015 sur l'ENS du col du Coq en Chartreuse, en lien avec le conseil général de l'Isère et le Parc naturel régional de Chartreuse. Un point accueil était matérialisé par un panneau rappelant le niveau du risque avalanche du jour et le niveau du risque pour la faune. Cet outil permet d’amorcer le dialogue grâce à cette référence connue (conditions de neige et choix de l'itinéraire) et de susciter le questionnement sur ce « niveau de risque pour la faune » qui y était associé et qui, lui, était inconnu. Cette entrée en matière a permis d'aborder le principe de calcul de l'échelle de perturbation de la faune en hiver et donc d'apporter des connaissances sur les animaux et leurs difficultés à cette saison (déplacement, nourriture, etc.).

Une fois ces notions prises en compte, les conseils apportés sur le choix de l'itinéraire, le respect des zones de tranquillité et les bonnes pratiques à avoir pendant la sortie étaient la plupart du temps accueillis avec attention et bonne volonté.
Je pense pouvoir dire que cette première campagne a été une réussite car le message a été reçu avec beaucoup d'intérêt par l'ensemble des usagers : randonneurs en raquette ou à ski, promeneurs ou sportifs, amoureux des animaux ou non. La démarche a été lancée sur un site restreint, elle ne demande maintenant qu'à s'étendre à un territoire plus vaste et à prendre de l'ampleur...