Des zones humides artificielles au secours de la biodiversité

 

Espaces naturels n°64 - octobre 2018

Méthodes - Techniques

En appui au traitement industriel des micropolluants par les stations d’épuration, le projet de recherche Zones humides artificielles (ZHART) promeut des « Zones Libellules » qui apportent une protection complémentaire aux milieux aquatiques et accueillent une nouvelle biodiversité.

Les Zones Libellules - Crédit : Suez Business Roll Agency

Les Zones Libellules visent à reconquérir la qualité des milieux aquatiques. - Crédit : Suez Business Roll Agency

La présence généralisée de micropolluants (composés chimiques susceptibles d'avoir une action toxique à très faible concentration, à l'instar de résidus de pesticides ou de médicaments) dans les eaux est aujourd’hui largement documentée. Face à ce constat, la Directive cadre européenne sur l’eau (DCE) fixe des objectifs de résultats pour la reconquête de la qualité des milieux aquatiques, notamment vis-à-vis des micropolluants identifiés comme prioritaires. Les moyens à mettre en oeuvre ne sont pas imposés : réduction à la source, réduction des déversements ou traitement.

Dans leur grande majorité, les Stations de traitement des eaux usées (STEU) ne sont pas conçues pour traiter ces composés. 

Le traitement des micropolluants en STEU peut mobiliser des technologies industrielles. L’ozonation, le traitement par charbon actif, ou l’osmose inverse, sont efficaces moyennant l’usage de ressources (réactifs, énergie). Une alternative basée sur les principes de l’ingénierie écologique offre une perspective différente. Cette alternative, baptisée « Zone Libellule », fait intervenir les processus naturels d’autoépuration des zones humides pour apporter une protection complémentaire au milieu récepteur, et offre d’autres bénéfices tels que l’accueil de la biodiversité. Ces externalités sont d’autant plus importantes pour la biodiversité que les milieux humides et aquatiques continentaux abritent plus du tiers des espèces recensées sur le territoire, et près de 45 % des espèces menacées.

ZONES LIBELLULES

Créées en 2009, les « Zones Libellules » ont franchi un palier en 2016 grâce aux résultats du projet de recherche collaboratif ZHART, pour lequel SUEZ s’est entouré de partenaires externes (entreprises privées et laboratoire de recherche public). Bien que n’étant pas considérées réglementairement comme faisant partie de la station de traitement des eaux usées, les zones qui intègrent les résultats de ce projet permettent aujourd’hui de garantir un abattement pour des micropolluants ciblés. C’est à ce titre qu’elles diffèrent des Zones de rejet végétali- sées (ZRV) classiques, dont l’efficacité est discutée. En effet, sans règles précises de conception et avec une exploitation souvent sous-estimée et/ ou délaissée, les bénéfices attendus des ZRV sont rarement atteints (quand ils sont mesurés) ou maintenus. Le nouveau concept de « Zone Libellule » s’intègre dans la norme française sur la conduite d’un projet de génie écologique (NF X 10-900) et repose sur la définition d’objectifs en amont de la conception. Ceux-ci peuvent porter sur l’abattement des micropolluants, le support à la biodiversité, ou la nécessité d’infiltration.

L’enjeu est d’assurer un fonctionnement satisfaisant dans le temps et conforme aux garanties, tant au niveau des performances épuratoires que de l’accueil de la biodiversité.

Dans le cas d’un objectif épuratoire, celui-ci est fixé à partir de la qualité des rejets de la station et des enjeux relatifs à la sensibilité du milieu, dans le cadre d’un domaine de performance permis par le foncier disponible – il doit dans tous les cas permettre un temps de séjour minimum de plusieurs jours au sein de la zone. La zone sera aménagée de façon à mobiliser spécifiquement les processus d’autoépuration naturels les plus à même de dégrader les molécules ciblées. Par exemple, pour cibler certains types d’antibiotiques qui sont particulièrement sensibles aux rayons UV (photolyse), c’est ce processus qui sera favorisé en maximisant la surface en eau dans des bassins de faible profondeur et peu ombragés par la végétation. À l’inverse, si les molécules ciblées sont davantage abattues par adsorption ou par biodégradation sur substrat, c’est le contact avec celui-ci qui sera recherché. Les bassins prendront alors une forme méandreuse et seront largement végétalisés afin de limiter la vitesse de l’écoulement et d’augmenter les opportunités de contact. Il en résulte des conceptions à chaque fois différentes, en fonction des attentes du client (collectivités ou industriels) et des possibilités offertes par le site. Dans tous les cas, une maîtrise rigoureuse du temps de séjour dans chaque compartiment, assurée par la conception et les aménagements hydrauliques, permet d’estimer le niveau d’abattement atteignable, et donc de fixer les garanties.

L’hétérogénéité du milieu peut également être motivée par des ambitions en termes de biodiversité : les différents compartiments des « Zones Libellules » sont à l’origine de l’expression de communautés végétales variées, dépendante de la hauteur de la lame d’eau et de la microtopographie. Les méandres ou les bassins à microphytes vont ainsi accueillir des espèces floristiques et faunistiques différentes, contribuant à augmenter la biodiversité de la zone dans son ensemble.

Le génie végétal fait partie intégrante de ce dispositif. Au-delà de la sélection des cortèges floristiques adaptés à chaque type de bassin et au site dans son environnement, cette expertise porte sur le plan de plantation, le suivi phyto-sociologique et la traçabilité de production, éventuellement à partir de semences spécifiquement récoltées. L’ensemencement est réalisé en utilisant des souches locales (se développant naturellement dans la zone biogéographique). Les techniques de germination ex situ suite à la collecte de graines ou de bouturage sont couramment utilisées. La flore est donc indigène, ce qui garantit une meilleure résilience.

RÉSERVOIRS DE BIODIVERSITÉ

 Le projet ZHART a également permis de développer un modèle biologique croisant peuplements macrobenthiques et microhabitats. Il permet de tester différents scénarios lors de la conception et de retenir celui qui présente le potentiel écologique le plus riche.

L’exploitation fait l’objet de préconisations pour la gestion végétale (contrôle des espèces envahissantes, maîtrise de la fermeture du milieu, etc.), hydraulique (ajustement des fils d’eau, surveillance des bouchons et court-circuits hydrauliques), et des ouvrages spécifiques tels que les filtres à sable (griffage, mise à sec alternée des files, etc.). L’enjeu est d’assurer un fonctionnement satisfaisant dans le temps et conforme aux garanties, tant au niveau des performances épuratoires que de l’accueil de la biodiversité. L’entretien permet de lutter contre l’uniformisation des habitats et de conserver la diversité d’espèces propres à chaque compartiment. Les produits de fauche et de curage, qui séquestrent une partie des micropolluants, sont intégrés dans les filières de traitement ou de valorisation adaptées à leur niveau de contamination (dégradation sur le site, compostage ou incinération). Un protocole de suivi des performances permet de valider et de rendre compte du fonctionnement de la zone, mais également d’orienter les préconisations dans le temps, afin que celles-ci soient en tout temps conformes à la réalité du terrain. Finalement, le nouveau concept de Zones Libellules permet de proposer, de façon garantie, une protection complémentaire du milieu naturel tout en constituant une zone privilégiée pour l’accueil de la biodiversité.

Les Zones Libellules utilisent une flore indigène, garantie d'une meilleure résilience.