Marais urbains et ruraux

L’accès du public aux milieux humides : une condition de leur conservation

 

Espaces naturels n°2 - avril 2003

Le Dossier

Pierre Donadieu
École nationale supérieure du paysage de Versailles

 

Les politiques publiques environnementalistes créent des conditions favorables à la reconquête sociale des milieux humides. Dans les marais urbains, l’ouverture au public favorise les conditions de l’adhésion sociale à la politique de conservation ; dans les marais protégés, les regards se forment ; tandis que dans les marais ruraux, c’est l’appropriation physique et mentale du marais par les habitants riverains qui est essentielle.

La fréquentation des espaces palustres permet-elle ou non de faciliter l’adhésion sociale aux politiques de conservation ? L’étude des rapports sociaux, qui porte sur six marais dont trois urbains et trois ruraux, catégorise les milieux et retient la construction de trois types possibles d’espaces palustres : des marais visités, des marais habités et visités ; des marais habités. Dans chacun d’entre eux, la relation à l’espace s’exprime différemment.
Dans les marais visités, la nature est entièrement protégée et sert des objectifs de conservation de la biodiversité. Il n’y a ni agriculteurs, ni chasseurs-pêcheurs-cueilleurs mais des promeneurs curieux ou des ornithologues avertis. Les pouvoirs publics y ont réuni les conditions favorables à l’éducation des regards sur les milieux humides, le succès de leur fréquentation indique qu’il existe un public citadin intéressé par ce type de nature.
Dans les marais habités et visités, on observe une diversification des groupes sociaux : les agriculteurs défendent souvent des pratiques vivement critiquées (drainage et mise en culture intensive) et les chasseurs-pêcheurs-cueilleurs estiment être les héritiers légitimes de pratiques traditionnelles bienfaisantes ; les naturalistes créent des espaces réservés à la protection de la faune et de la flore ; de nouveaux habitants poursuivent ici leurs loisirs de plein air. Les visiteurs viennent vérifier la réalité des images diffusées dans les dépliants touristiques. Cependant, en dehors des lieux aménagés, l’appropriation de cette nature est encore l’apanage des initiés, rompus à la pratique d’un terrain difficilement accessible.
Dans les marais habités, le rapport social à l’espace est réduit. Les habitants riverains apprécient le calme ambiant et la nature, à leur sens préservée, alors que les naturalistes –rejetés– déplorent la perte d’un paradis ornithologique.
Le regard se forme dans les marais protégés
Les marais entrent donc, désormais, dans la composition de cadres de vie et de destinations touristiques. Ces marais de loisirs ont alors besoin d’une action de conservation qui garantisse aux spectateurs une réalité conforme aux images souhaitées d’une nature palustre ni trop sauvage, ni trop domestiquée.
Cependant, le public ne s’approprie pas forcément les arguments en faveur d’une protection des zones humides avancés par les naturalistes. Si dans l’imaginaire collectif, la conservation renvoie à l’idée d’un sanctuaire de nature intacte, elle doit aussi intégrer la présence d’usagers promeneurs, chasseurs, pêcheurs ou cueilleurs. Pour les plus familiers d’entre eux, la conscience écologique communément partagée (le marais participe à un équilibre vital) ne suffit pas à mobiliser les habitants contre l’assèchement. Le projet de conservation d’un marais doit satisfaire le désir de nature accessible et « consommable ». C’est la raison pour laquelle les chasseurs du marais des Échets, par exemple, qui craignaient de perdre leur droit de chasse sur un marais classé et protégé, se sont rangés aux côtés des agriculteurs draineurs, il y a trente ans.
L’analyse du rapport social aux marais urbains visités nous conduit à conclure que l’ouverture des zones humides aux publics est une condition importante de l’adhésion sociale à la politique de conservation ; c’est dans les marais protégés que se forment les regards : la promenade, la marche ne sont-elles pas des activités au fond assez subversives ? La mobilité des touristes ne suggère-t-elle pas le changement des habitudes là où ils viennent effectuer excursions et visites ? Mais l’analyse du rapport social aux marais ruraux nous enseigne que c’est l’appropriation physique et mentale du marais par les habitants riverains qui est aussi essentielle.