Zones humides
Initié en 1997, le Programme national de recherche sur les zones humides (PNRZH) en est à sa phase de valorisation des résultats. Pendant trois ans, 126 équipes de scientifiques et gestionnaires ont « interrogé » les zones humides sur leur fonctionnement hydrique, sur leur richesse biologique… Sans omettre la dimension sociale et le positionnement économique de ces milieux sensibles. Leur objectif : donner des outils à l’action afin de sauvegarder les zones humides françaises. Entre les mares, rivages, marais, tourbières, bord de rivières… La diversité de ces espaces laisse comprendre combien le champ des études est multiple. D’autant plus que les zones humides sont le point de convergence d’un système écologique complexe fortement marqué par les représentations et activités humaines. Le PNRZH aura permis la mise en réseau des acteurs au service des zones humides, il participe à l’évolution des mentalités, à la mise en place d’outils en direction des gestionnaires, il ouvre le champ de la recherche…
Mal connues et mal aimées des Français, les zones humides semblaient peuplées de moustiques et de farfadets. Pour le grand public, leur assèchement apparaissait presque comme une bénédiction, « mais depuis dix ans ; cette vision a fortement évolué » explique Geneviève Barnaud, présidente du conseil scientifique du PNRZH. Pourtant, si les valeurs écologique, paysagère, culturelle, économique des zones humides sont aujourd’hui reconnues, les connaissances fondamentales sur ces milieux en sont encore à leurs balbutiements et la demande des gestionnaires vers les scientifiques est très forte : « Dites-nous ce qu’il faut faire », ont-ils insisté lors des différents colloques de restitution. Ainsi, les conclusions du PNRZH sont un véritable kaléidoscope où toutes les facettes de la recherche sociale, biologique, économique, technique s’intègrent dans un ensemble indissociable. Prenons la question amont : qu’est-ce qu’une zone humide, comment la définir ? L’évidence cède vite le pas à la perplexité. La définition juridique (loi sur l’eau du 3 janvier 1992) n’est pas d’un grand secours, les juges d’ailleurs en ont une appréciation subjective1. Puisqu’une zone humide est par nature mouvante, sa délimitation est incertaine. Dès lors, comment protéger ce qu’on ne sait qualifier en toute objectivité ? En réponse, l’équipe bretonne de Philippe Mérot nous lègue un schéma conceptuel basé sur la fonctionnalité des zones humides de fond de vallées2, elle les classe en aires effective, efficace, potentielle. Avec ces mots, l’ensemble des acteurs sociaux, politiques, juridiques, va assurément pouvoir négocier, discuter, aménager le territoire…
Au fil des programmes, le PNRZH définit ainsi des concepts et met en place des typologies par usage, par fonction, par activités socio-économiques, par intérêt patrimonial…
Les travaux du PNRZH font également émerger des cadres méthodologiques pour l’étude hydrologique. L’accent est mis sur la prise en compte du bassin versant.
On évalue les degrés de connexion entre les différents compartiments hydrologiques, la contribution relative des eaux de pluie, souterraines, de surface, pour estimer la capacité de stockage des zones humides et proposer des typologies hydrologiques.
D’autres, à l’instar du projet de Claude Amoros (Lyon), créent un véritable lexique des zones humides à l’usage des acteurs. Cette méthode de diagnostic partagé permet d’établir un dialogue entre scientifiques, utilisateurs de la recherche, voire grand public. L’avancée est notable, pour se comprendre, il vaut mieux parler le même langage.
Mais, fidèle à elle-même, la recherche débouche sur d’autres questions. Puisque la définition et la reconnaissance des zones humides sont si délicates, les chercheurs restent mitigés sur la nécessité de réaliser l’inventaire des zones humides tel que le prévoit la loi sur l’eau : « Identifier les zones les plus sensibles, soulève Geneviève Barnaud, est à double tranchant. Les zones oubliées risquent d’être considérées comme insignifiantes ».
Utilité des zones humides
Si les fonctions des zones humides préoccupent les gestionnaires, c’est que la réponse serait bien utile pour forger un argumentaire de sauvegarde. Or, Bernard Picon (Camargue) met l’accent sur l’absence de vocation naturelle des zones humides. « Soyons clairs, c’est la société qui décide. Au siècle dernier, on asséchait les marais parce qu’ils dénitrifiaient. Aujourd’hui, nous utilisons des engrais, alors nous voulons les sauvegarder parce qu’ils dénitrifient ». La préservation et la gestion des zones humides ne se résument donc jamais à une simple question scientifique. Le traitement politique, économique et social des zones humides est primordial : « C’est une affaire de dialogue, de démocratie ». Pour gérer ces enjeux, plusieurs équipes, dont celle de Bernard Picon, ont développé un ensemble de programmes informatiques en vue d’une même application. La saisie de données, sur les niveaux et les taux de salinité souhaités en fonction des intérêts divergents des agriculteurs, écologistes, pêcheurs, agences de l’eau... simule les effets d’une gestion hydraulique. « Cette modélisation construit des scénarii d’avenir, mais n’est nullement un outil de gestion, elle constitue une aide à la réflexion collective : un outil pédagogique pour la gestion concertée ». Car tous les chercheurs le disent, l’association des acteurs locaux est indispensable à la sauvegarde des zones humides. Emmanuelle Gautier (projet Loire) insiste sur ce qu’elle nomme un malentendu : « Les zones humides les plus viables sont celles où la présence des sociétés est la plus prononcée et les zones menacées sont justement celles où le paysage renvoie aux riverains une impression de retour au naturel, où l’empreinte des sociétés humaines est moins forte ».
Du même coup, les équipes se posent les questions d’accès au foncier, de l’incidence des aides publiques, de la régulation de ces mêmes aides, mais également de la psychologie sociale qui, entre légitimité réglementaire et légitimité des acteurs ouvre la porte à d’éventuels conflits. Alors, diverses équipes conseillent aux gestionnaires de s’intéresser à l’histoire sociale et économique des zones humides. Comment ignorer qu’en Guyane, l’esclavage et le bagne font partie intégrante de l’histoire des marais exploités par une main-d’œuvre à bon marché. Comment ne pas prendre en compte les implications de ce lourd passé, en termes d’appropriation et donc d’efficacité des décisions visant à la valorisation du marais ?
Valeur économique
« Peut-on donner une valeur à la nature ? Quelle valeur donnez-vous à la Joconde ? Et puis, soyons honnêtes, explique Paul Baron, du ministère de l’Environnement, la biodiversité, il n’y a personne pour la payer. On peut réussir à la faire comprendre aux élus par le biais du paysage, par la biodiversité floristique ; mais c’est une toute petite porte d’entrée ». Une porte que pousse tout de même l’équipe de Pierre Donadieu, en montrant comment la fréquentation des marais par le public ouvre une possibilité de conserver les zones humides. C’est dans les marais visités que se forment les regards. Certes, la valeur économique des zones humides n’est guère contestée pour l’industrie touristique, mais de là à chiffrer…
Pourtant, s’il est vrai que les zones humides filtrent l’azote et jouent le rôle d’épurateur vis-à-vis des pollutions, notamment agricoles, on pourrait se risquer à chiffrer le coût de l’infrastructure nécessaire à assurer la qualité de l’eau, en remplacement de la zone humide concernée.
Mais, là encore, les chercheurs restent prudents et les observations effectuées par l’équipe de Philippe Mérot relativisent leur pouvoir dépolluant qu’il faut considérer à l’échelle du bassin versant. Il est, en effet, fonction de la longueur d'interface zones humides/versant comparativement à la surface totale en zones humides.
La traduction des fonctions hydrologiques, biogéochimiques et biodiversité des zones humides en valeurs financières n’en reste pas moins d’actualité. L’équipe de Yann Laurans a donc initié une réflexion sur ce thème. Les résultats aboutissent à des clarifications sémantiques pour certains termes, tels service rendu, fonction, fonctionnalité, fonctionnalisme, valeur, prix, patrimoine, usage… L’équipe a produit des grilles d’analyse destinée à l’évaluation économique des services rendus par une vallée alluviale fictive. La recherche brosse également le cadre d’une démarche d’évaluation économique. Mais l’évaluation de la valeur financière d’une zone humide souffre d’une inadéquation des outils, ainsi, en matière d’investissement économique, le long terme s’entend sur dix ans…
L’équivalent du très court terme en écologie.
Un manque de données
Si Daniel Guiral n’hésite pas à dire que « les principaux acquis du projet amazonien résultent de la mise en œuvre de divers outils de télédétection, satellitaux et aéroportés », c’est que l’absence d’information sur ces zones humides résultait, entre autres, de la difficulté d’accès. La recherche révèle que l’imagerie satellitaire est d’un grand intérêt pour déterminer l’occupation des sols à l’échelle de grands espaces, même si elle est peu adaptée à l’étude des processus écologiques de détail. En revanche, l’utilisation conjointe d’images satellitaires et de photographies aériennes permet de cartographier la végétation avec différents niveaux de précision et de mettre en évidence des changements à l’échelle du paysage sur quelques années ainsi que le démontre le projet Ty-Fon (Philippe Mérot). Enfin, une autre conclusion concerne l’utilité du « regard » objectif de la télédétection comme moyen pour dépasser les idées préconçues sur les zones humides « naturelles ».
Mais à l’heure de la valorisation des résultats, on retiendra surtout que chaque zone humide est unique. L’observatoire des zones humides, les pôles relais, sites internet et publications sont là pour aider le gestionnaire à élaborer son propre diagnostic.