Entretien avec Jacques Avoine

« Les cailloux ne se reproduisent pas, ils sont condamnés à disparaître »

 

Espaces naturels n°43 - juillet 2013

Le Dossier

Moune Poli
Rédactrice en chef

 

Enseignant-chercheur à l’université de Caen, Jacques Avoine est géologue. Il est également responsable de l’association Patrimoine géologique de Normandie et président de la commission Patrimoine géologique de Réserves naturelles de France. Ses activités, professionnelles ou non, le conduisent aussi à partager sa passion de la géologie avec le grand public.

Suivre la trace d’un oiseau dans le ciel, c’est à la fois fugitif et sensible. Nul besoin d’être savant pour apprécier la magie d’un tel moment. Pouvez-vous ressentir des émotions similaires en contemplant une pierre ?
L’animal vit quelques semaines, quelques années, il se reproduit, l’espèce se perpétue ou, éventuellement, elle est menacée… Avec la pierre, il en est de même. Elle a une histoire, elle vient des profondeurs de la Terre. Entre la pierre et l’oiseau, nous ne sommes pas dans la même échelle temporelle mais tous deux sont vivants. La pierre a une vie propre ; pour la saisir il faut s’inscrire dans une part d’imaginaire. Or, faire partager cet imaginaire à un public, le rendre réceptif, c’est passionnant. Même si entrer dans la géologie contemplative n’est pas facile et que cela nécessite un médiateur.

La géologie serait un moyen de sensibiliser le public à l’environnement… quels messages faites-vous passer lors de vos animations ?
Cette discipline remet l’homme à son échelle. C’est le Temps qu’on touche du doigt. Le temps de la Terre qui est notre maison mère. On réalise que rien n’est immuable. Le calcaire devient sable…
C’est aussi tout un voyage. Quand on présente un affleurement, des roches, un relief… on raconte l’Histoire. On explique comment les choses en sont arrivées là. Montrez un fossile dans un calcaire, c’est fabuleux ! Vous pouvez évoquer la mer dans laquelle l’animal a vécu. Vous pouvez parler du climat, peut-être tropical… Les roches permettent de reconstituer l’environnement passé. L’homme est un élément parmi d’autres dans la nature.

Émotion et pédagogie, seraient-ce les deux raisons pour lesquelles il faut protéger les cailloux ?
Protéger les cailloux, c’est également travailler pour les générations futures. Si l’on souhaite pouvoir continuer à étudier ces objets – la science évolue et on ne sait pas tout – il faut les protéger. Cela ne se renouvelle pas, un caillou. Cela ne se reproduit pas. Essayons de tout faire pour éviter qu’il disparaisse.

Il faut donc réfléchir avant de détruire, y compris la géologie ordinaire ?
Certains objets géologiques ont plus de valeur que d’autres. Un granit n’a pas de valeur particulière. D’autres roches au contraire sont très menacées par la prédation ou, principalement, par la dégradation naturelle, par l’érosion. Mais la géologie ordinaire mérite d’être préservée parce qu’elle est le substrat de la végétation, des espèces, et qu’elle « fait » le paysage. On voit aussi que certaines roches ont une composition chimique un peu particulière qui permet à un type précis de plantes de pousser.
On ne peut pas imaginer de tout conserver mais avant de construire un bâtiment par exemple, il est bon de s’interroger sur ce que l’on détruit et en quel pourcentage. Il faut réfléchir sur la manière dont, ce faisant on modifie le paysage… Et puis, il y a des règles de base : dans les réserves naturelles, on ne construit rien. Quand on prélève des roches, on fait attention à ne pas trop prélever. Et surtout ne pas jeter !

Avez-vous d’autres arguments pour sensibiliser sur l’importance de ce patrimoine ultime ?
Dans les parcs par exemple, nous arrivons à sensibiliser les élus à l’intérêt des cailloux en passant par le biais du bâti. Nous faisons la relation entre le patrimoine bâti, le patrimoine culturel et le patrimoine naturel biologique. C’est facile… Mais plus globalement, l’idée qu’un caillou ne repousse pas est assez forte pour convaincre de la nécessité de sa préservation. •