Un homme, une flamme

 
Gérard Zapata, garde du littoral

Espaces naturels n°16 - octobre 2006

Management - Métiers

Moune Poli

 

Gérard Zapata eut le sourire généreux, la poignée de main large, puis il dit : « Je vous emmène sur mon site. » Il avait les yeux tout flamme et déjà le verbe prodigue… Il s’excusa d’emblée de parler en termes de possession. « Non, ce n’est pas mon site, enfin… un peu. »
Chemise rayure écolier, col ouvert, bronzé, il portait le cheveu libre et malgré quelques efforts pour rendre la coiffure conforme, elle refusait obstinément la discipline, et préférait friser le vent. Homme-racine, il avait – d’emblée –
l’évidence du terrain.
Parvenu sur l’étang du Méjean, il continua à s’offrir. Il parlait, le regard fervent de la commune de Lattes dont il était le salarié, des élus locaux avec lesquels il travaillait synchro depuis maintenant vingt ans, du plan de gestion du site qu’il appliquait et peaufinait, de ses cinq collègues qu’il poussait à partir en stage, de la cage à sanglier qu’il était en train de souder, des dossiers de financements
qu’il montait pour l’expo à la maison
de la nature, des sponsors qu’il fallait convaincre, des cigognes pour lesquelles il avait construit des nids, de l’animation pour enfants qu’il avait mise en place,
des tortues de Floride qu’il ne savait pas comment éradiquer, des roubines1, des martellières2… de sa formation personnelle à la gestion hydraulique du site…
Artiste multi-instrumentaliste ou garde gestionnaire du littoral ?
Pas le temps de poser la question, le téléphone sonna. Il s’excusa. « Tu viens demain, bon, fit-il, parfait. » « Le président de l’association des chasseurs, expliqua-t-il en raccrochant. Les relations, c’est important. Ma finalité première est de protéger le patrimoine naturel, mais l’espace doit également être partagé. Ici depuis toujours, il y a eu des chasseurs, des pêcheurs, des manadiers3, aujourd’hui il y a des promeneurs et nous avons une forte pression urbanistique car nous sommes très près de Montpellier et le site est perçu par certains comme un parc périurbain. Il faut gérer tout cela, concerter, discuter, expliquer… » « J’aime ça, glisse-t-il alors avec gourmandise. En 2005, nous avons organisé le festival de la nature. Les chasseurs, les pêcheurs, les manadiers, les sportifs, les écologistes… tout le monde a fait la démonstration de ses pratiques. On recommencera… »
Un court silence suit. C’est alors son regard qu’il faut prendre au mot. Il connaît les gens !
Car Gérard Zapata est un enfant de Lattes. Petit, il a fréquenté le Méjean, cela lui donne du répondant. D’ailleurs, son père était chasseur. Ça l’a bien aidé au départ quand les chasseurs sont entrés en conflit avec le plan de gestion du site pour chercher à maintenir, partout dans le marais, le niveau d’eau au-dessus d’un mètre ; ou quand le Conservatoire du littoral voulait ouvrir la chasse à la passée après cinq heures le soir. Comme il savait, d’expérience, qu’à cette heure-là, il y a longtemps que les canards sont passés sur le Méjean, il a su convaincre.
L’homme s’appuie de courts instants sur les panneaux d’accueil qu’il a conçus pour expliquer au public les enjeux de cette zone humide. Il s’appuie, mais il continue de parler… Son style, c’est la retenue. Il sait ce qu’il veut mais il n’envahit pas l’espace. Les gestes sont larges mais lents. Il veut convaincre avec empathie. Il n’exclut pas la sanction, mais il a l’autorité
tranquille. Il lui est arrivé de troquer un procès-verbal contre quelques jours au service du site protégé. Éducation contre sanction, avec l’accord du jeune en infraction et de ses parents. Depuis, d’ailleurs, leur complicité est au plus haut.
Il n’hésite pas, non plus, à encadrer des jeunes condamnés à des travaux d’intérêt général. Le risque a toujours payé.
On est à peine surpris d’apprendre que Gérard Zapata a bourlingué avant d’arriver là. Il a vécu dix ans au Canada. Il a été tôlier, peintre, puis électromécanicien. Compétences sacrément utiles pour un garde du littoral. Car ici, il faut savoir tout faire : la soudure, le béton, la menuiserie. Les moyens sont limités et les « manuels » sont bienvenus.
Face à la maison de la nature, un abri vient d’être érigé. Beau travail. « Construction maison », lance-t-il, en avançant à l’intérieur. Avec application, son jeune collègue est en train de peindre une cage à sanglier qui devrait rapidement être placée sur site. Dans un coin, une rangée de cages, pièges à ragondin. Elles seront installées plus tard. La vie, la mort… Nous sommes très loin tout à coup, des dossiers, des réflexions, des financements, de l’ingénierie, des ordinateurs… Il y a quelque chose de rare dans cette profession pile et face.
Au loin, quelques taureaux pâturent. Image muette… Les sons se perdent dans la brise et étouffent le site d’une ambiance de coton propice aux compli-cités de l’intelligence sensible. Dans l’après-midi, Gérard Zapata allait dévoiler ses convictions…
Sur le chemin qui mène à l’observatoire, au cœur de la zone, au cœur du silence, sa parole devenait plus profonde. Dans quelques années, il envisage la retraite. Est-ce pour cela qu’il parle du temps ? Du temps qu’il faut pour construire. Ses jeunes collègues sont parfois trop pressés. Ils veulent mettre en œuvre immédiatement et à la lettre le plan de gestion. Mais si l’on veut que les choses durent, il faut jouer la souplesse, il faut prendre le temps de l’adhésion de l’autre. Il faut apprendre à le connaître. À contre-courant de la civilisation des loisirs, cette philosophie nécessite de travailler soixante-dix, quatre-vingts heures par semaine. On n’attrape pas les sangliers à trois heures de l’après-midi, pas plus que l’on ne rencontre les élus ou les responsables d’associations. Mais quelle satisfaction !
Franchement rieur, l’artiste de la relation humaine explique qu’il faut prioritairement être sur le terrain. « Voir, toucher, sentir. C’est ça qu’il faut dire aux jeunes qui préparent ce métier. Levez vos yeux des ordinateurs et apprenez à connaître ce qu’il y a autour de vous. » Lorsque, dans les marais, l’eau manque d’oxygène, la malaïgue4 s’installe. Les ordinateurs le révèlent mais l’homme d’expérience sent, touche, voit et décèle le phénomène bien avant l’appareil.
Il y a de la joie dans cet homme-là.
En philosophe de la relation humaine, Gérard Zapata pose la question du
rapport au travail. À quoi sert de travailler si ce n’est pour se réaliser, pour mener des projets à bien, pour prendre des responsabilités ?
Est-ce que je serais là s’il n’y avait rien à construire et à apprendre ?
Petit coup d’œil sur le référentiel métier. Il n’est nulle part écrit que le garde du littoral gestionnaire doit acquérir reconnaissance, autonomie, crédibilité. Gérard Zapata a inventé son profil de poste de toutes pièces. Il s’est saisi des problématiques qui lui semblaient importantes et est allé, seul, acquérir la compétence nécessaire. Aujourd’hui, il s’interroge sur l’indépendance du site à toute pression extérieure, sur son avenir, et cherche à mettre en œuvre des solutions. Hier, il a acquis la compétence hydraulique nécessaire pour gérer le site. Il est même devenu une référence en la matière pour l’ensemble du bassin versant. De même, la direction des ressources humaines de la ville lui a délégué la gestion de « son » personnel. Puisque cela marche bien…
Demain… Oh, demain, il aimerait bien devenir chef d’entreprise. Mais fina-lement, n’est-ce pas ce qu’il fait déjà ?

1. Roubines. Nom donné aux canaux.
2. Martellières. Trappes qu’on peut lever ou baisser pour réguler l’eau des canaux dans le but d’assécher ou d’inonder une zone (voir photo ci-contre).
3. Manadiers. Gardiens de taureaux.
4. Malaïgue ou « mauvaise eau ». Ce manque d’oxygène est provoqué par un apport excessif de nutriments ou de matière organique biodégradable.

>>> Mél : nature@ville-lattes.fr