Technicien de l’image. Métier de l’ombre

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Management - Métiers

Moune Poli
Rédactrice en chef

 

Y a-t-il des photographes professionnels dans nos organisations ? Zoom sur un métier en mal de reconnaissance…

“Si une structure gestionnaire d’espace naturel veut acquérir des images, elle doit adopter une politique spécifique, elle doit fournir du matériel, former son personnel et aussi reconnaître une vraie valeur à la mission photographique. » Par ces mots, Pascal Saulay donne le ton. Cet électronicien passionné de pellicule a été embauché sur un emploi contractuel au Parc national des Écrins ; il occupe depuis huit ans les fonctions de « chargé de mission image et audiovisuel ».
Il sait sa chance d’être dans un parc qui, dit-il, a une vraie politique dans ce domaine et qui reconnaît l’utilité de son métier même si, regrette-t-il, « la photo n’est pas encore considérée comme une vraie mission, comme peut l’être la surveillance par exemple. » Patrick Folliet, qui exerce des fonctions similaires au Parc national de la Vanoise, ne le contredit pas. « La photo n’est pas considérée comme quelque chose de très sérieux car tout le monde peut appuyer sur le bouton », confesse, un peu amer, ce photographe chevronné. Critique, il avoue que tout le monde est content de trouver une photothèque qui corresponde aux différents besoins de l’institution « mais personne ne semble faire le lien avec la nécessité de reconnaître ce travail de la même manière qu’on reconnaît les autres. »

Au service de l’établissement. « Ma mission permet à l’établissement d’acquérir de l’indépendance et d’économiser de l’argent », poursuit Pascal Saulay. Avec 30 000 images classées par thèmes, techniquement qualitatives et bien indexées, le parc possède aujourd’hui un outil qui lui permet d’assurer ses fonctions de communication et de sensibilisation, mais également d’établir des partenariats en cédant à sa guise ses propres images. Sans cela, il faudrait faire appel à des photographes extérieurs et sans cesse renégocier les droits. « Sans compter que certaines images ne peuvent être faites au moment où le besoin se fait sentir. »

Commander. La technicité et la sensibilité du photographe permettent de fixer les événements, les paysages, la faune et la flore. « Il est témoin », précise Patrick Folliet. On est étonné, après pareil discours, de l’entendre expliquer qu’il ne fait jamais de photos. Pascal Saulay non plus, du reste. Ou très exceptionnellement. Au quotidien, leur tâche est plus organisationnelle. L’un comme l’autre gèrent la photothèque. Ils font l’inventaire des photos manquantes ou des thèmes déficitaires et commandent des images auprès de collègues motivés qui se sont engagés à faire des prises de vue dans le cadre de leur travail et à céder les droits au parc. Celui-ci ayant mis du matériel photo professionnel à leur disposition. Il s’agit d’une vingtaine de personnes à la Vanoise, d’une quinzaine aux Écrins.
Une grosse partie du travail consiste alors à animer ce groupe en sachant fort bien que la photographie ne relève pas de leurs priorités. « Je tiens cependant à ce que la photo soit professionnalisée, explique Patrick Folliet. Je tente de former une équipe qui a un minimum de réflexes professionnels. Pour cela, je m’astreins à faire des commentaires techniques sur toutes les photos qu’on me fournit. C’est un gros boulot mais c’est la seule façon de faire évoluer les pratiques, car nous avons rarement l’occasion d’appuyer nos collègues en nous rendant avec eux sur le terrain. »

Former. En plus d’appuis techniques sur la focale ou la profondeur de champ, Pascal Saulay tente de faire passer un message sur le sens de l’image : « j’insiste pour que, avant d’appuyer sur le bouton, les collègues se posent la question : à quoi va servir cette photo ? Est-ce qu’elle représente mon activité, mon établissement ? » La vraie difficulté étant de limiter les clichés afin de ne pas avoir de photos inutilisables. Au risque d’avoir un surplus de travail pour les éliminer, ou de posséder une banque de données non opérationnelle.
Car, une fois les photos faites, il faut effectivement trier, retoucher, indexer… En Vanoise, Patrick Folliet se charge seul de cette indexation. C’est là une grosse part dans son emploi du temps. Il lui faut aller plus loin que la simple légende pour renseigner les métadonnées qui permettront à tous d’utiliser cette photothèque dont il admet « avoir passé six ans de sa vie à la construire ».
Aujourd’hui, les banques d’images de ces parcs sont conséquentes, à ceci près, concèdent les deux techniciens, que « nous manquons de reportages humains. Ceux-ci relèvent d’une compétence particulière. C’est autre chose que de photographier la faune ou la flore. Il nous faudrait organiser une formation spécifique », ajoutent-ils.

Référent. Leur travail requiert également des compétences sur le droit de l’image et le droit d’auteur. Le photographe des Écrins reconnaît que, sur ce terrain, il faudrait combler des manques.
Patrick Folliet regrette de ne plus faire d’images. Cette dimension artistique lui manque. Mais y a-t-il déjà eu des photographes dans les espaces naturels ? Comme en écho, Pascal Saulay, qui avoue un salaire net mensuel de 2 250 euros, souligne que le référentiel métier des parcs ne fait pas mention de sa fonction (1).
Le technicien de l’image en manque de reconnaissance est cependant consulté sur tout. Qu’il s’agisse d’un appel d’offres, d’un projet vidéo, d’un site internet, d’une exposition ou d’une publication à paraître, il est aussitôt associé.
Paradoxe des métiers en devenir ? •

1. En outre, dans le référentiel métier de l’Aten, la mission « gestion de fonds image et de prise de vue » est englobée dans la fiche métier de chargé de com. Preuve que « technicien de l’image » n’est pas encore considéré comme un métier à part entière.