La loi sport

 
les professionnels restent en alerte

Espaces naturels n°1 - janvier 2003

Droit - Police de la nature

Moune Poli

 

La loi sport datait du 16 juillet 1984, elle a été modifiée le 6 juillet 2000. Décidément l’été est une saison sportive ! Mais l’exploit s’arrête là. Depuis cette date, nombre de décrets d’application se font attendre et les gestionnaires d’espaces naturels s’interrogent sur les incidences de cette législation qui réglemente les activités de nature.

Les points obscurs tout d’abord. Notons tout de go l’absence de définition des sports de nature. VVT ? Chasse ? Moto ? Les sports motorisés sont-ils inclus dans le périmètre de cette législation ? Le différentiel d’impact de ces diverses activités sur l’environnement mériterait qu’on les caractérise ; d’autant plus dans un climat social où les fédérations nationales de pêche et de chasse revendiquent le statut de sport .
Hélas le législateur a omis de définir l’activité sportive comme il a omis de cerner précisément son lieu d’exercice. La loi laisse des vides. Le domaine public maritime, le domaine aérien, sont exclus du champ d’application de la loi. Qu’en est-il des plans d’eau par exemple ?
Un arrière-goût
de conflit d’intérêts
Il y aura donc des décrets d’application… Pourtant, dans le cas de la « loi sport », c’est l’esprit même du droit qui est en cause : la loi sert-elle l’intérêt supérieur ?
Les conditions dans lesquelles elle a été adoptée sont révélatrices : son vote résulte d’une suite d’arbitrages dont l’apothéose procède d’amendements parlementaires de dernière minute. Ceux-ci ont modifié le sens de certains articles, les rendant inapplicables, voire contradictoires avec le droit de la propriété privée (à ce jour, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi). En instituant que les activités de nature peuvent s’exercer sur tout type de terrain, la loi va à l’encontre du principe du droit de propriété privée. Comme elle va à l’encontre du code de l’Environnement instituant que « …les sites, la qualité de l’air […] les espèces animales et végétales […] font partie du patrimoine de la nation. Leur protection, leur mise en valeur […] sont d’intérêt général ». De même la loi est contradictoire avec les directives européennes ou les conventions internationales sur la protection de la nature (directive Habitats).
Reste alors un autre débat à la conjonction du scientifique et du politique. Traite-t-on du sport de nature ou du sport en nature, interrogent certains gestionnaires ? L’enjeu de la « loi sport » ne doit pas constituer un conflit d’intérêt entre les sportifs, utilisateurs au présent de l’espace naturel, et les générations futures.
Ainsi, la loi institue des commissions départementales (CDESI)* dont l’une des principales attributions est l’élaboration de plans départementaux relatifs aux sports de nature. On s’étonne : seuls les représentants des fédérations
sportives sont légalement conduits à participer.
Les CDESI pourront prévoir également la mise en place de servitudes. Lesquelles servitudes sont à mettre en parallèle avec la revendication à un libre accès à la nature portée par certaines fédérations sportives. En outre, ces commissions sont placées sous l’autorité des présidents des Conseils généraux. Est-il certain que ce redéploiement des compétences au niveau local soit le plus pertinent pour conduire une politique environnementaliste ? Ces commissions donneront leur avis sur l’impact des projets de loi, de décret ou d’arrêté préfectoral entrant dans leur domaine de compétence. Faudra-t-il l’avis des 99 commissions départementales pour pouvoir adopter une loi ? Heureusement la loi sport prévoit également des instances de concertation tel le Conseil national des activités physiques et sportives (CNAPS) qui donne son avis sur les projets de décrets.
Rien n’est prévu
sur la connaissance
des milieux naturels
Le volet « encadrement » de la loi sport n’est pas -non plus- sans interpeller les gestionnaires d’espaces naturels. Ainsi, la loi oblige quiconque enseigne, encadre, anime une activité sportive contre rémunération (quel que soit la fréquence), à posséder un diplôme attestant de ses compétences en matière de protection des pratiquants et des tiers. Mais où est la limite entre sport et promenade ? Les gestionnaires d’espaces protégés qui organisent des sorties de découverte pouvant comporter des marches d’approche ou l’utilisation de matériel spécifique (raquettes à neige, canoë) sont-ils concernés par la loi ? En l’absence de définition des activités physiques et sportives, il est difficile d’y répondre. Le BAFA suffit-il ou des diplômes spécifiques à certaines activités sportives (délivrés par le ministère de la Jeunesse et des sports) seront-ils nécessaires ?
Par ailleurs, les nouveaux décrets relatifs aux qualifications requises pour l’obtention de tels diplômes ne prévoient rien sur la connaissance des milieux naturels ! De même, dans les missions d’intérêt général des sociétés sportives subventionnées, la protection de l’environnement n’apparaît pas. Sans commentaire…
On l’aura compris, la loi sport laisse les professionnels de l’environnement en alerte. Les gestionnaires des espaces naturels participent d’ailleurs à un groupe de travail initié par le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement. Ils tentent de définir une stratégie commune au service des espaces naturels et de suivre la mise en place des décrets d’application. C’est sûr, on en reparlera.

* CDESI : commission départementale des Espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature. (Art. 50-2)