Repères juridiques

Dorénavant, vous pouvez l’affirmer : « Ici, je suis dans une zone humide »

 
Entretien avec Olivier Cizel, juriste

Espaces naturels n°35 - juillet 2011

Le Dossier

Moune Poli

 

Le préfet a compétence pour délimiter le contour des zones humides de son département. Les critères sont objectifs, précis. Cette évolution du droit s’inscrit dans le sens d’autres modifications juridiques récentes en faveur des zones humides.

Parmi les nouvelles dispositions applicables aux zones humides, un arrêté et une circulaire de 2010 permettent de délimiter leur contour. Qu’en est-il exactement ?
La loi sur l’Eau de 1992 se contentait de définir les zones humides. Elle donnait donc lieu à interprétations notamment sur leurs limites : où s’arrête la zone humide ? L’arrêté de juin 2008 et la circulaire de janvier 2010 pallient ce manque. Ces textes cernent ces zones en s’appuyant sur deux critères précis et objectifs : d’une part, la morphologie des sols liée à la présence prolongée d’eau d’origine naturelle ; d’autre part, la présence de plantes hygrophiles. Une liste a été établie par espèce indicatrice et par type d’habitats Corine biotope.

Le sol peut ne pas être humide en surface… Comment savoir s’il s’agit d’une zone humide ?
Un arrêté de 2008 précise la profondeur du carottage nécessaire pour savoir si le sol est humide (1,20 m). Une typologie des sols hydromorphes a d’ailleurs été dressée : la limite de profondeur des traces d’humidité est différente en fonction de chaque type de sol. Elle varie entre 25 et 50 cm.

Comment cette réglementation a-t-elle permis d’éclaircir la situation ?
Ces critères objectifs permettent un arbitrage. C’est particulièrement vrai sur certaines zones dont le statut était contesté par des aménageurs ou des agriculteurs ; principalement des zones en partie drainée.
Certes, cette réglementation ne gomme pas tous les problèmes. Des contestations pourront naître sur la précision d’un contour : à cinquante ou quatre-vingts centimètres près, est-on dans ou hors la zone ?
Dans l’avenir, il faudra être attentif à la manière dont le juge exerce son arbitrage. Jusqu’ici, il n’existe aucune jurisprudence sur cette nouvelle réglementation.

Cette délimitation est particulièrement importante dans le cadre de la police de l’eau ?
Effectivement. C’est souvent dans ce cadre qu’il y a contestation. Les travaux d’assèchement ou de drainage sont soumis à déclaration ou à autorisation du préfet. Or, comment prouver qu’une zone a été asséchée et, qu’initialement, c’était bien une zone humide ? Aujourd’hui, le préfet n’a pas de référence sur laquelle s’appuyer.
Cette nouvelle réglementation lui donne compétence pour délimiter tout ou partie des zones humides de son territoire en suivant une procédure décrite dans les textes de référence, et liée aux sols hydromorphes et aux plantes hygrophiles.
Cette délimitation n’a pas d’effet juridique, elle permet cependant d’établir un état zéro des zones humides du département. À ce titre, elle sera utile aux services de police de l’eau pour suivre l’évolution de ces milieux. On peut parier que dans certains départements, là où beaucoup d’assèchements sont contestés (dans le marais poitevin par exemple) une telle délimitation sera mise en place.

Parmi les modifications, on note l’apparition de deux nouveaux zonages. Qu’apportent-ils ?
Un premier zonage concerne des Zones humides d’intérêt environnemental prioritaire (ZHIEP). On considère ces zones en fonction de leur intérêt pour la gestion intégrée du bassin versant, pour leur valeur touristique, écologique, paysagère, cynégétique. C’est vaste…
Le préfet institue ce zonage dans le but de bâtir des programmes de restauration. Les actions et contraintes environnementales qui en découlent visent principalement les agriculteurs, elles sont facultatives mais certaines mesures peuvent devenir obligatoires si le préfet le décide.

Quels types de mesures ?
La restauration ou l’entretien d’un couvert végétal spécifique, la restauration ou l’entretien de mares, plans d’eau…

Et le deuxième zonage ?
Il s’agit des Zones stratégiques pour la gestion de l’eau (ZSGE). Celles-ci s’insèrent obligatoirement à l’intérieur d’une ZHIEP, le premier zonage dont nous avons parlé. Mais, surtout, elles sont liées au schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage) qui définit des objectifs de qualité et de quantité pour l’eau. Le Sage doit donc, préalablement, être mis en place.
Ces deux conditions réunies, le préfet peut délimiter cette zone et y instituer des servitudes d’utilité publique interdisant notamment le retournement de prairie ou le drainage.

Le Sage est devenu un pivot de la police de l’eau ?
Toutes les opérations d’assèchement soumises à autorisation doivent être conformes avec son règlement. Auparavant, on parlait simplement de compatibilité !

Qu’en est-il des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) ? Peuvent-ils prévoir des orientations spécifiques à la préservation des zones humides ?
Certains Sdage prévoient la mise en œuvre de mesures compensatoires généralement à hauteur de 150 ou 200 % de la zone humide détruite. En outre, toutes les décisions administratives rendues dans le domaine de l’eau (dont les assèchements et drainages…) doivent être compatibles avec leurs orientations.

Qu’en est-il des mesures d’incitation, de la fiscalité ?
Nous sommes au cœur d’une réforme fiscale qui doit permettre d’exonérer de taxe foncière (sur les propriétés non bâties - TFPNB) les zones humides faisant l’objet d’un engagement de gestion de la part de leurs propriétaires.
Ainsi, après engagement pour cinq ans, un propriétaire hors espace protégé de marais et landes ou de prairies humides sera exonéré de 50 % de taxe. S’il est dans un espace protégé, l’exonération est portée à 100 %. En zone Natura 2000, l’exonération est plus large, elle porte sur toutes
les zones humides : forêts alluviales, mares, bordures d’étangs, lagunes…

Des critiques ?
Dommage que l’exonération de 100 % ne touche que les terrains protégés. Les terrains non protégés demanderaient un effort particulier. Par ailleurs, ce type de mesure n’est pas incitatif pour les petits propriétaires, pour qui le gain est minime.

Et sur les sites Ramsar ?
Le point le plus intéressant consiste en la réalisation d’un plan de gestion. Une mise à niveau de leur fonctionnement a été fixée : cohérence du périmètre des sites, mise en place d’un comité de suivi, identification d’un organisme gestionnaire…

D’autres choses en projet ?
Un projet de décret pour Natura 2000 prévoit un régime d’autorisation pour certaines activités (retournement de prairie notamment). L’objet est de renforcer le régime d’évaluation des incidences. Mais cela a pris beaucoup de retard…

1. DTR : Développement des territoires ruraux. • 2. Lema : Loi sur l’eau et les milieux aquatiques. Les articles de codes et les arrêtés peuvent être consultés sur www.legifrance.gouv.fr et les circulaires sur www.bulletin-officiel.developpement-durable.gouv.fr