Question à Yann Saugeras, éleveur sur le plateau de Millevaches en Limousin

« Je suis vraiment en colère »

 

Espaces naturels n°28 - octobre 2009

Le Dossier

Moune Poli

 

Commençons par une note positive. Globalement, comment va votre exploitation ?
Plutôt bien. Mieux en tout cas. Il y a sept ans, j’ai hérité d’une ferme à l’abandon située en zone Natura 2000. J’ai ouvert des milieux et j’ai installé un troupeau de moutons Suffolk. N’étant pas dans le contexte de la réforme de la Pac, je n’avais pas droit aux primes à l’hectare. Les aides MAET sont arrivées ensuite, je les attendais avec impatience, elles ont constitué une sacrée bouffée d’oxygène.

Le fonctionnement de Natura 2000 vous met cependant en colère…
Le mot n’est pas trop fort. J’ai choisi de gérer mon exploitation de viande d’agneau dans le cadre d’une gestion durable : pas d’engrais, pas de pesticide, je ne laboure pas. Le respect de la biodiversité… c’est quelque chose qui me parle. Mais aujourd’hui, je suis dans l’illégalité.

Illégalité ?
Les contraintes imposées par l’administration dans le cadre de Natura 2000 sont tout simplement inapplicables. Un exemple : cette année, j’ai restauré une petite tourbière en déprise agricole depuis 30 ans, envahie de ligneux… La mesure MAE correspondante « ouverture d’un milieu en déprise de parcelle abandonnée » vous oblige à réhabiliter la zone dès le 15 mai. Parfait !... Mais vous n’avez pas le droit d’intervenir pour bûcheronner avant septembre. Comment vous faites ?
D’autant que ce n’est pas tout ! Le cahier des charges vous oblige à brûler le bois, or un arrêté préfectoral interdit cette pratique à cette date.

Et alors… comment fait-on ?
Je suis en infraction. Si je suis contrôlé par le Cnasea, je me dis que je m’expliquerai avec le contrôleur ! J’ai essayé de faire comprendre l’absurdité des choses à l’administration… mais rien à faire.
La remise en état de tourbières ou de landes sèches demande un travail phénoménal dans des conditions pénibles : humidité ou forte pente. Et bien, j’ai découvert que ces surfaces peu productives ne comptent que pour moitié. En restauration de landes, je vais toucher non pas 334 euros l’hectare mais 167 euros. Ce qui me fout en pétard, c’est de savoir que la France risque de payer des amendes à l’Europe si elle n’atteint pas ses objectifs. Il vaudrait mieux encourager les agriculteurs à s’engager dans Natura 2000 en les subventionnant à hauteur de leur travail.

Vous vous contentez de prendre acte de cette situation ?
Les syndicats agricoles et le Cren limousin sont allés à Bruxelles rencontrer les parlementaires européens. Nous avons réussi à débloquer un peu d’argent, mais c’est ponctuel. Tout cela ne me décourage pas. Nous sommes dans le sens de l’histoire. Au sortir de la guerre, les agriculteurs devaient nourrir la France ; aujourd’hui, ils sont en charge de la nature, de la ressource en eau… Je pense qu’à l’avenir les subventions agricoles vont être réellement, de plus en plus, conditionnées au respect de la biodiversité et du paysage.