Sylvain Dubreux : « Mes élèves ? De futurs chefs d’équipe »
Sylvain Dubreux enseigne à de futurs techniciens supérieurs (BTS Gestion et protection de la nature). Il y développe une pédagogie bien à lui autour de l’organisation de chantiers nature.
Il y a des profs qui marquent. Sylvain Dubreux est de ceux-là. Enseignant au lycée agricole de Tilloy-les-Mofflaines, il forme ses élèves au brevet de technicien supérieur Gestion et protection de la nature (GPN). Son approche du cursus scolaire repose sur un constat : pas assez de pratique ! « Au lycée, on n’est pas suffisamment équipé pour approfondir les gestes techniques. On se concentre sur la théorie sans réellement toucher au terrain. Même lors des stages, on attend généralement des étudiants qu’ils conduisent des études diagnostiques sans réclamer qu’ils maîtrisent le matériel ou qu’ils réalisent une opération technique. »
Pour affiner sa critique, Sylvain Dubreux ajoute qu’il faudrait avoir plus d’ambition dans les objectifs à atteindre. « Mes élèves, de futurs gardes nature, deviendront un jour chefs d’équipe. Ils doivent être capables de réaliser ce qu’ils demandent aux autres. Ils doivent, aussi, savoir gérer l’ensemble d’un chantier. »
Aussi, tout au long des deux ans qui mènent au diplôme, le jeune prof s’attache à mettre ses étudiants « en situation ». Lors de la seconde année notamment, il leur demande de prendre en charge un chantier nature. Pendant une journée, une équipe de quatre ou cinq organise et gère l’ensemble d’un chantier. Toute la classe participe. Des ateliers sont mis en place pour lesquels les camarades deviennent des agents techniques sous leurs ordres. Le pilote de chaque atelier doit s’organiser et attribuer une tâche à chacun en fonction de ses compétences.
Ouverture de milieux, abattage ou restauration de berges… L’enseignant choisit les chantiers avec précaution. Dès septembre, il rencontre les gestionnaires d’espaces naturels de la région. Qu’un projet soit trop technique ou dangereux (tronçonneuses sur un terrain très accidenté…), il le refuse.
Sa pédagogie, exigeante, impose à l’élève une préparation minutieuse. Au moins deux mois sont nécessaires à cette étape préliminaire dans laquelle il impose de rencontrer le
gestionnaire de l’espace naturel concerné : pour le débriefer sur les conditions physiques, géographiques, sur le plan de gestion ; pour approfondir les techniques à utiliser… Ils organisent ensemble des réunions de chantier.
Le professionnel de la nature gardera cette place privilégiée jusqu’à la notation de l’élève à laquelle il participe.
L’étudiant, lui, devra rendre un dossier de préparation dans lequel il proposera un protocole de travail (outils, méthode et timing). Son écrit doit faire la preuve qu’il est resté en veille ; qu’il est allé vérifier l’actualité des documents fournis (le plan de gestion par exemple). « Par la suite, mes élèves devront continuer à être en pointe sur les techniques de leur métier », développe Sylvain Dubreux. L’enseignant mesure toute l’importance de sa manière de faire : « Jusque-là, ces étudiants étaient passifs. Ils ne s’interrogeaient guère sur le pourquoi et le comment de ce qu’on leur demandait. Cette nouvelle approche les détache d’une formation confortable. Ils doivent se pencher sur les questions de sécurité, anticiper les imprévus, réagir si le chantier se déroule vite ou, à l’inverse, s’il prend du retard. »
Le pédagogue ne pardonne pas le non-respect des échéances. « J’impose, dit-il, que le dossier de préparation soit envoyé au professionnel au minimum quinze jours avant la date du chantier. Dans leur avenir professionnel, mes étudiants auront des dossiers à établir pour des demandes de subventions par exemple, ils auront l’obligation de respecter des délais. J’insiste énormément sur la présentation, les fautes d’orthographe… Dans le monde professionnel, les techniciens doivent être crédibles. »
Lors du chantier, le professeur est là. Il observe, n’intervient pas. Si jamais les choses s’enlisent, il attend un peu avant de solliciter l’élève pour qu’il analyse la manière dont il s’y prend. « Parfois, dit-il, il faut réajuster l’organisation. »
Le chantier fini, vient le temps de l’évaluation. Sur le terrain d’abord, à chaud, avec le gestionnaire. Avec le « prof » ensuite, en atelier.
« Cela fait maintenant cinq ans que j’organise des chantiers nature. À la fin de l’année, on pourrait presque laisser les étudiants seuls. »
Mais les gestionnaires aussi y trouvent leur compte. Ainsi le travail s’organise avec Eden 62 par exemple, syndicat mixte gérant les espaces naturels sensibles du département, ou encore avec le Parc naturel régional Scarpe Escaut. Le sérieux du travail des jeunes étant reconnu, Sylvain Dubreux répond aujourd’hui à d’autres demandes, spontanées. Voir les étudiants à l’œuvre sur le terrain permet aussi aux professionnels de recruter, explique-t-il. Un autre intérêt… non négligeable, de cette pédagogie responsabilisante.