avec Yohan Tison. Écologue à la direction des parcs et jardins de la ville de Lille

Écologue dans un espace urbain

 
« Nous rencontrons beaucoup de publics, divers, peu préoccupés de nature et de biodiversité.»
L'entretien

Moune Poli

 

Vous travaillez en ville, vous vous occupez donc de nature ordinaire ?
Pas seulement, la ville est un territoire à enjeu pour des espèces patrimoniales. À Lille, nous abritons l’ache rampante par exemple, une plante inscrite à l’annexe 2 de la directive Habitats, ou encore une dizaine de plantes protégées inscrites sur la liste de protection régionale. L’historique de la ville, avec ses remparts et ses fossés creusés tantôt dans la craie, tantôt dans les limons, nous a donné tout un cortège de plantes muricoles ou des fougères rares. Nous creusons des mares particulières pour une libellule inscrite sur la liste rouge régionale. Dans le cadre de la restauration du patrimoine fortifié, nous faisons en sorte d’intégrer le patrimoine naturel et architectural sur un plan d’égalité.

Votre manière de travailler diffère-t-elle des espaces naturels ?
Je ne crois pas. Nous nous appuyons sur un plan de gestion que nous mettons en œuvre. Le travail d’inventaire et de diagnostic de la biodiversité sur Lille est lancé depuis 2003. En 2010, la municipalité a voté un plan biodiversité ambitieux. Depuis cinq ans, par exemple, nous développons du pâturage extensif sur deux sites. Nous travaillons avec un éleveur en bio qui a une centaine de bovins Highland, il vend sa viande sur un étal de nos marchés en Amap.

Le public cependant n’est pas le même.
Effectivement. En ville, nous avons une forte pression sur l’esthétique. Les citadins souhaitent une nature « propre » et nous sommes parfois exposés à des critiques très virulentes. Récemment, un groupe de personnes est venu se plaindre « des grandes mauvaises herbes que nous n’avions pas coupées ». Or il s’agissait de la roselière. Une autre fois, un courrier nous disait qu’il y avait trop de mares et d’arbres morts. Cela suppose beaucoup de communication pour expliquer et convaincre.

En quoi le public urbain suscite-t-il des préoccupations ?
Vandalisme, vol… sont intégrés dans notre réflexion. Je vous parlais de pâturage ? Eh bien, nous devons protéger nos moutons, sinon ils finissent au congélateur. Nous allons louer les services d’un berger urbain pour les mener et les rentrer à la bergerie chaque soir. Les questions de vandalisme pourraient se poser également face aux animaux domestiques comme des chiens Rottweiller ou Pitt bull.
Il faut aussi gérer la fréquentation. Certaines personnes rentrent dans les massifs pour y faire de la prostitution, des cabanes ou laisser divaguer leur chien. Or nous avons quelques espèces d’oiseaux de fourrés arbustifs, banals mais menacés chez nous, comme la fauvette grisette. Nous devons donc mettre en place des systèmes contraignant le cheminement : des ganivelles par exemple. Certaines mares que nous avons créées sont étroites, très longues, et placées perpendiculairement aux fossés afin de contraindre la circulation aux abords de la roselière.

Vous travaillez beaucoup sur la sensibilisation du public ?
Sur le parc de la Citadelle, nous touchons plus d’un million de visiteurs par an. Nous leur expliquons nos choix par tous les moyens que nous offre la communication. Concernant le bois mort par exemple, nous en avons 33 m3 par hectare. Une valeur plus importante que dans la plupart des forêts gérées. Il faut expliquer.
Nous avons également créé un observatoire local ouvert au grand public et nous y développons des partenariats avec des associations naturalistes. Nous organisons des chantiers avec des bénévoles, notamment des habitants. L’éducation de tous est un point fort.

Une autre spécificité en ville est celle de la pollution lumineuse. Travaillez-vous à une trame noire ?
La notion de pollution lumineuse est très importante. Dès qu’il y a un pont, l’éclairage sur cette voie d’eau crée une barrière difficilement franchissable. En premier lieu, nous avons sensibilisé en interne les élus et le service éclairage. Nous avons réussi à changer les lampadaires. Ils sont moins hauts, leurs faisceaux sont limités au cheminement et les lampes émettent peu dans les bleus, violets et UV. Nous avons également diminué les temps d’éclairage pour soigner notre trame noire.

En savoir plus : ytison@mairie-lille.fr