Rouvrir les milieux et les enrichir en proies, faisable ?

 

Espaces naturels n°17 - janvier 2007

Gestion patrimoniale

Moune Poli

 

Le programme Life Natura 2000 « Habitats et espèces des Gorges de l’Ardèche et leurs plateaux »1 concerne 6 030 hectares de gorges, grottes, pelouses, landes et milieux aquatiques. Diverses espèces sont directement ciblées dont l’aigle de Bonelli. Concernant ce rapace, les mesures prévues envisagent l’ouverture des milieux et la réintroduction de proies. La construction de garennes artificielles en vue de réintroduction de lapins, et des lâchers de pigeons biset ont été réalisés. Bilan et leçons d’une expérience…

Le programme Life « Habitats et espèces des Gorges de l’Ardèche » conduit par le Syndicat de gestion des Gorges de l’Ardèche n’est pas consacré à l’aigle de Bonelli. Plus précisément, il concerne aussi l’aigle de Bonelli dont la situation est très fragile puisque seuls deux couples subsistent dans cette région nord de son aire de répartition. « L’espoir, c’était de revoir l’aigle revenir dans ce secteur de la Dent de Rez », explique Yvon Ventalon, agent de l’Office national des forêts et coordonnateur du Life pour l’ONF, partenaire du programme. Sur proposition du Centre ornithologique Rhône-Alpes (Cora), avec qui l’ONF travaille en étroite collaboration, des actions de réintroduction de proies ont été décidées. Elles concernent les lapins de garenne et les pigeons biset. Il fut un moment évoqué de développer des souches sauvages de perdrix rouge (afin d’atteindre des densités de huit à dix couples aux 100 ha) mais l’idée fut vite abandonnée. La perdrix rouge est, elle aussi, en danger et il n’est pas aisé de trouver des individus disponibles.
L’action en direction des lapins s’est révélée plus faisable. En forêt domaniale de Bois Sauvage, en proximité de milieux rouverts, trois garennes ont été construites : à l’intérieur d’un enclos (une aire carrée de quinze mètres de large) un tumulus de branchage recouverts de cailloux et de pierres permet aux lapins de se mettre à l’abri. Il s’agit d’animaux capturés en Espagne, en Camargue ou encore en banlieue lyonnaise. À chaque lâcher, une trentaine d’individus ont été parqués quelques semaines dans cet abri provisoire, le temps de leur acclimatation. Ensuite, on a ouvert le grillage… afin qu’ils aillent coloniser les milieux ouverts contigus.
Cela a l’air simple. Détrompez-vous ! Il faut tout d’abord capturer les lapins. En milieu naturel, on les attrape grâce à la collaboration active d’un furet. Celui-ci entre dans le terrier, provoque l’échappée belle du garenne. Un petit filet, tendu la sortie du terrier, permet alors de récupérer l’animal. Rien
d’évident ! L’action mobilise beaucoup de monde, d’autant que l’on ne peut compter sur l’éthique du furet. Celui-ci travaille pour son propre compte et n’a qu’un désir : croquer le lapin.
Trouver les bons sites, les bons terriers (ceux qui abritent des lapins et non des trous vides…), user de la bonne technique, mobiliser du monde… l’action n’aurait pu être réalisée efficacement sans le con-cours d’autres partenaires. Le Syndicat de gestion des Gorges de l’Ardèche s’est adjoint celui de l’ONF, du Cora, de leurs personnels et bénévoles. Présents sur le terrain, ils ont également recherché des sites de capture. Pour la fabrication des garennes, les chasseurs locaux sont venus prêter main-forte. Sur l’ensemble des dix garennes aménagées dans le cadre du programme, quatre cents lapins ont été lâchés.
Aujourd’hui, quelques années plus tard, l’heure est au bilan. L’objectif clairement affiché était d’acclimater des lapins afin que 10 % survivent. Pourquoi une si mince ambition ? Principalement parce que, revers de la médaille, les prédateurs (notamment des renards) sont attirés par la construction de la garenne et attendent patiemment l’ouverture du grillage. « Nous avons réussi à implanter une petite souche de lapin sur au moins une des garennes, explique le responsable de l’ONF. Pour réussir à coup sûr, et obtenir une population suffisante, il aurait fallu introduire des lapins chaque année. Mais nous n’avons pu renouveler l’opération que deux fois. Il est néanmoins prévu de relâcher d’autres individus cet automne. »
Mais alors pourquoi avoir relâché les lapins si tôt, pourquoi ne pas avoir attendu, un an, deux ans, le temps de leur reproduction en enclos ? L’idée ne semble pas saugrenue et Yvon Ventalon complète : « Le Syndicat de gestion des Gorges de l’Ardèche l’avait fortement envisagé, mais il n’avait pas les moyens humains et financiers pour gérer une telle entreprise. Elle nécessitait l’emploi d’une personne à temps partiel. »
Une chose est aujourd’hui certaine, la réussite suppose de renouveler des lâchers pendant au moins cinq ans, durée nécessaire pour parvenir à installer une popu-lation viable. Une telle opération doit perdurer au-delà d’un Life.
Du reste, les lâchers de pigeons biset confortent l’analyse. Deux pigeonniers ont été construits. Leur approvisionnement en individus a été relativement aisé puisqu’il a suffi de faire des prises dans une commune voisine. Cependant, par manque de moyens, ils ont été relâchés dans la nature trop vite. « Il fallait une heure de route pour accéder au site et les nourrir. Nous étions donc pressés de les remettre en liberté ; ce que nous avons fait, dès qu’ils ont eu des petits. Dans un premier temps, cela s’est bien passé, mais les pigeons adultes n’avaient pas perdu la mémoire de leur site d’origine. Ils sont donc repartis entraînant les jeunes avec eux. L’efficacité aurait voulu que l’on attende deux ou trois générations mais nous n’en avions pas les moyens : un programme Life est limité dans la durée. Aujourd’hui, c’est un peu différent : dans le cadre de Natura 2000, il serait sans doute possible de contractualiser le suivi des pigeonniers et des garennes avec un agriculteur local. »
Les retombées du programme Life sur l’aigle de Bonelli sont tout de même positives puisque, aujourd’hui, un troisième couple est en voie d’installation.
« Nous n’avons pas d’élément objectif
d’évaluation, commente Yvon Ventalon. Cependant, nous avons également travaillé à l’ouverture des milieux et je pense que ces actions ont été déterminantes. Elles ont été menées avec le concours de la Chambre d’agriculture qui effectue des suivis annuels sous forme de relevés floristiques sur des placettes témoins. Sur ses conseils, nous avons opéré des ouvertures de milieux sur d’importantes surfaces. Ainsi, par exemple, nous avons rouvert six hectares en vue de la restauration de pelouses calciques en voie de colonisation forestière. Ces espaces contribuent à la fixation des populations de lapins de garenne introduites et constituent un lieu de chasse privilégié pour l’aigle de Bonelli.
Par ailleurs, sur douze hectares, nous avons procédé à la création de clairières. Disposées en corridor, elles facilitent la circulation des espèces animales et végétales. Cette ouverture a été mise en œuvre par débroussaillement et, aujourd’hui, ce corridor fonctionne. Certes, il gagnerait à être élargi car son étroitesse ne permet pas de l’entretenir par pâturage. Nous devons donc, tous les deux ans, effectuer un entretien relativement coûteux. Nous avons calculé qu’en multipliant par quatre la surface nettoyée, nous pourrions établir une convention de pâturage avec un éleveur. Il suffirait alors de prévoir un recépage plus léger des ligneux tous les quatre ans environ.
Des aménagements ont également été faits en faveur de la petite faune sauvage, proie de l’aigle de Bonelli (voir tableau).
En fait, notre ambition est de continuer à ouvrir les milieux dans l’optique de parvenir à une surface économiquement viable pour le pâturage. Nous nous sommes fixés pour objectif d’ouvrir quarante-cinq hectares dans les années à venir. C’est un objectif réaliste et nous continuons à travailler avec la chambre d’agriculture qui nous indique les terrains qui ont la plus grande valeur pastorale. Par ailleurs, nous avons signé un contrat Natura 2000 qui ouvre la porte à d’autres moyens et qui nous offre un cadre puisque la pression pastorale est dosée en fonction du résultat écologique souhaité. Le contrat débute cette année.
Au bout du compte, on en arrive toujours au même constat : les actions doivent s’inscrire dans la durée… »

1. Le programme a concerné la période 1999 - 2003. Conduit par le Syndicat de gestion des Gorges de l’Ardèche, il s’appuie sur l’implication de la population locale. Il a été mené en partenariat avec
la Diren Rhône-Alpes,
la Région Rhône-Alpes, le Département de l’Ardèche, l’ONF,
le Comité national olympique,
le Creps Rhône-Alpes et RNF.

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Yvon Ventalon
Mél : yvon.ventalon@onf.fr