L’authentique, c’est très technique
Pari : faire d’un mode de transport un outil d’initiation à l’écologie montagnarde et un moyen de découverte de l’histoire locale des traginers (muletiers) catalans. Maîtriser définitivement la circulation automobile en zone d’altitude. Assurer des retombées économiques significatives.
L’alchimie opère naturellement. Au coude à coude, les trois grands gaillards de chevaux de Mérens tirent leur attelage lourdement chargé de huit personnes. Le cocher gère avec calme la croisée d’un cycliste qui descend le massif, tandis que les touristes, installés dans la nacelle, abondent en joyeux commentaires. Mais ils reprennent vite leur silence… attentifs à nouveau à l’esprit du paysage.
« C’est ce que nous souhaitions, explique Aldo Rizzi avec la passion qui anime ce chef de projet, couper la route à la circulation automobile, et se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, on ne croisait ici que des animaux de bât pour des opérations de débardage, de transport de fer ou de charbon… Faire sentir, faire aimer nos montagnes catalanes et les protéger… »
L’idée de la traction animale a germé il y a deux ans, en fin de saison. Elle a éclôt joyeusement, presque violemment, avec l’énergie de ceux qui risquent de se perdre, s’ils ne retrouvent pas rapidement leur âme. Le Syndicat mixte du Canigò1 voulait maîtriser l’impact de la fréquentation sur l’environnement. « En une semaine, il a fallu imaginer l’itinéraire pour accéder au refuge et tester sa faisabilité avant l’arrivée de la neige. Nous avions ensuite quelques mois pour convaincre, trouver des financements, se pro-curer des chevaux, construire des attelages2, former les personnels, bâtir des écuries, trouver des
partenaires3… » Quelques mois pour que tout soit prêt. Le projet est alors arrêté en ces termes : à l’été 2005, la route sera coupée à la circulation à 1 900 m d’altitude. Il sera possible à pied, à vélo, en attelage, en fauteuil roulant, de se rendre au refuge, but ultime du voyage, à 2 150 m d’altitude. Et, entorse à la règle, la voiture sera tolérée avant neuf heures et après
dix-sept heures.
Le cheval de Mérens, figure emblématique des Pyrénées
Coup de cœur des conseillers généraux et des maires locaux qui testent le voyage en avant-première… ce projet « authentique » les séduit d’emblée. Ils financeront. Ça roule… Mais le montage d’un tel projet est infiniment technique. D’abord, où trouver quinze chevaux et qu’en faire, le soir, ou à la saison creuse ?
Le haras national d’Uzès vient porter main forte au projet. Il loue quinze chevaux de Mérens, figures emblématiques des Pyrénées. Le Syndicat mixte est d’ailleurs aujourd’hui en train de faire leur acquisition. Dorénavant, l’hiver, les équidés travailleront sur des opérations de débardage ou d’entretien de sentiers. Le grand site s’étend sur 75 000 ha, aussi, tout compte fait, l’opération sera rentable.
Pour conduire l’expérience jusqu’au bout de sa cohérence écologique, les animaux sont parqués, chaque nuit sur des zones différentes, afin que leurs piétinements soient profitables à la réouverture des milieux. Et, comme ils piétinent notamment du rhododendron et du genêt, les éleveurs du massif ont, eux aussi, soutenu ce projet. Voici comment on engrange les partenaires !
Un moteur à hydrogène pour récupérer l’énergie de la descente
Le calcul des rotations suppose de bien connaître la résistance des chevaux. Ainsi, l’implantation du stationnement des véhicules à moteur à 1 900 m d’altitude a été décidé en fonction de la possibilité de récupération des animaux : cinq rotations par jour, pas davantage ! Descendre à 1 700 m la barre de fréquentation automobile supposerait de disposer d’un cheptel plus important. Difficile sans prévoir une écurie plus grande, mais aussi une ressource en eau adaptée. Dans deux ans sans doute…
Une écurie en bois a été spécialement construite par l’Office national des forêts, en montagne, et trois voitures hippomobiles ont été achetées. Une quatrième, en préparation, sera dotée d’un moteur à hydrogène alimenté par un système solaire afin d’éviter que les chevaux ne se fatiguent trop.
Et toc, c’est l’occasion d’un autre partenariat avec une école d’ingénieurs de Catalogne (Ripolle) qui doit imaginer comment récupérer de l’énergie à la descente. L’alliance de la tradition et de la haute technologie pour découvrir un espace naturel fragile : le concept est séduisant !
Mais puisqu’il faut penser à tout, il n’aurait pas fallu omettre le volet formation. Celle des équidés bien sûr, qui ont suivi un entraînement spécial leur
permettant de résister au travail d’endurance que réclame un tel dénivelé. Mais aussi celle des hommes. Certains personnels ont passé un diplôme équestre ; d’autres, avec le syndicat des accompagnateurs en montagne, ont suivi une formation spécifique afin d’obtenir le certificat de qualification
handisport. Les personnes handicapées aussi doivent pouvoir parvenir au refuge grâce au fauteuil tout terrain (voir photo).
Retour d’investissement sur l’emploi
Parlons chiffres… Quelle rentabilité conduit l’ensemble des partenaires à financer un tel projet ?3 Le prix d’achat moyen d’un cheval entraîné, préparé et adulte, est de l’ordre de 3 200 e. Une voiture hippomobile revient à 6 000 e. Il faut aussi compter la nourriture, les frais vétérinaires, les investissements lourds pour la construction de l’écurie, le personnel…
Ce budget, c’est d’abord un choix politique du Syndicat mixte en faveur de l’environnement ; choix relayé par la Diren qui a inscrit l’opération dans la convention Opération Grand site de France II, signée en septembre 2006. Mais il faut voir les choses autrement, éclaircit le chef de projet, « l’entretien des pistes d’altitude nous coûtait cher et l’insatisfaction était générale : les automobilistes auraient souhaité que l’on goudronne, tandis que des randonneurs, VTTistes et cavaliers se sentaient dépossédés du site. Aujourd’hui, cela nous coûte un peu d’argent, mais le public est satisfait et il revient chez nous avec un état d’esprit favorable aux espaces naturels. Les communes ne s’y trompent pas, elles connaissent un retour d’investissement sur leur développement
économique et sur l’emploi ».
Allez, une indication simplement : depuis trente ans que cette piste est ouverte, pour la première fois en 2005, la circulation était filtrée. Eh bien, cette même année, le refuge des Cortalets a augmenté sa fréquentation de plus de cinq pour cent.
1. Le Syndicat mixte du Canigou réunit trente-cinq communes. Cet établissement public administratif se compose du Conseil général, du Syndicat intercommunal pour l’aménagement rationnel du Canigò (en catalan), de l’Office national des forêts.
2. Sur le projet de réintroduction de l’attelage, voir notamment la revue L’Accent catalan de la République française, décembre 2004.
3. L’intégralité du projet est financée par le Conseil général des Pyrénées-Orientales,
le Conseil régional du Languedoc-Roussillon,
le Pays des terres romanes, programme Leader +.
>>> En savoir plus : canigougrandsite@wanadoo.fr