Avec François Chazel Gestionnaire de la Réserve naturelle nationale pour Flanders Moss, Blawhorn Moss, Loch Lomond et Ben Lui. Écosse

Expatrié pour servir la nature

 
« Mettez votre énergie là où c’est essentiel »

Espaces naturels n°39 - juillet 2012

L'entretien

Moune Poli
Rédactrice en chef

 

Il avait 25 ans, une solide formation en gestion de l’environnement, quelques économies… Mais pas de travail. François Chazel décide alors de quitter la France et de partir pour l’Écosse. Ne parle-t-il pas un bon anglais scolaire ? Pendant plusieurs mois, il bat la campagne écossaise. Et c’est à Newtonmore, dans une auberge de jeunesse, qu’il rencontre sa chance. Un homme l’oriente vers la Réserve naturelle de Creag Meagaidh. Là, on lui offre le logement ; juste le logement ; en compensation du travail accompli.
La suite est une succession d’opportunités qu’il s’acharne à saisir : jouer les volontaires sans s’interroger sur « combien de temps cela va durer » ; se montrer utile, ouvert… vouloir apprendre, comprendre… ; accepter de dormir dans une caravane ; compter les papillons, recenser les arbres, faire du système d’information géographique, jouer le rôle d’interprète…
François Chazel travaille aujourd’hui pour Scottish Natural Heritage. Il est conquis.

Pourquoi avoir quitté la France ?
J’ai un BEPA de travaux forestiers, un BTA gestion faune sauvage, et un BTSA gestion protection de la nature. Six ans d’études en lycée agricole… Mais je ne trouvais pas de travail. Aussi, en 2004, après trois ans de recherche, et pas mal de petits boulots en tant que manœuvre de chantier, j’ai décidé de me donner une chance d’exercer mon métier.
Pour travailler en France, il aurait fallu faire autre chose. C’était comme si je renonçais à moi-même.
Je n’ai rien planifié. Je suis parti, disponible, ouvert aux gens et aux événements. On verrait…
Depuis un voyage d’études dans les Highlands, je gardais de l’Écosse l’image d’un territoire ouvert, avec des entités pouvant atteindre 25 000 hectares. Cela m’avait profondément conquis. En France, tout un chacun a un petit lopin de terre, bien délimité. Ici, c’est le Scottish Outdoor Access Code (1) qui s’applique. Ça restait en moi. Une sorte d’inspiration…

Le Scottish Outdoor Access Code, expliquez-nous cela…
Ici, la tradition culturelle veut que la circulation soit libre. La seule règle, c’est de ne pas poser de problème au propriétaire. De tenir son chien en laisse, par exemple, si vous évoluez au milieu d’un troupeau de moutons. Sinon, n’importe qui peut marcher n’importe où.
En 2004, le Scottish Natural Heritage, qui gère les questions d’accès aux territoires, a publié le Scottish Outdoor Access Code (Soac). C’est une formalisation des droits traditionnels. Il s’applique aussi aux campeurs.

Comment se fait-il que la terre n’ait pas été morcellée au moment de la passation d’héritages ?
En Écosse, la terre est avant tout une source de revenus. Les propriétés sont forestières ou encore dédiées à l’élevage du mouton comme dans les Highlands. Il y a également une forte pression pour le tourisme de chasse au cerf. Une belle tête peut valoir jusqu’à 1 000 livres (1 200 euros). C’est une vaste industrie… C’est pourquoi les héritiers d’une famille s’associent et fondent des trusts, ils ne divisent pas la terre. C’est un modèle très différent du nôtre.

Que change cette donnée pour un gestionnaire d’espace ?
Il y a moins de propriétaires, la concertation est donc plus simple. On passe moins de temps et d’énergie à essayer de trouver un consensus. Par ailleurs, les unités écologiques étant larges, on peut plus facilement laisser aller sa créativité : gérer tout un versant de montagne avec une végétation riparienne, par exemple.
En revanche, et contrairement à la France, toujours du fait du Soac, on ne peut pas interdire l’accès de certains territoires. On ne peut pas, non plus, dire aux gens de se promener sans leur chien, même en période de nidification.

Et si le chien poursuit une espèce protégée ?
C’est un problème à gérer avec la police. En tant que gestionnaire de réserve, je ne suis pas assermenté à mettre des PV. Mais il est vrai que dans la région de Loch Lomond, près de Glasgow où il y a une forte pression de la fréquentation, une loi locale a été votée pour s’affranchir du Soac. Le parc naturel a interdit le camping et le bivouac sur la berge est du Loch.

Pourquoi avez-vous trouvé du travail en Écosse et pas en France ?
En France, on se réfère au CV : mais on met ce qu’on veut dans un CV ! Ici, il faut faire ses preuves. On regarde plutôt ce dont vous êtes capable. Pendant quinze mois, j’ai dû faire mes preuves.

Votre culture française a-t-elle apporté quelque chose à vos interlocuteurs ?
Je suis probablement la personne la moins bien placée pour en parler. D’un point de vue personnel, j’ai dû apporter de la détermination. J’ai appris, j’apprends et j’apprendrai, alors que je ne savais pas grand-chose. L’important, c’est de mettre son énergie là où on pense que c’est essentiel. Pour moi, c’est travailler pour la nature. •