Entretien avec Benoît Fritsch

Comment nous avons découvert que notre site abritait du patrimoine géologique

 

Espaces naturels n°43 - juillet 2013

Le Dossier

Moune Poli
Rédactrice en chef

 

Quand la Réserve naturelle nationale du Bois du parc a été créée, les enjeux géologiques n’étaient même pas évoqués. Il s’agit pourtant d’un patrimoine rare que les gestionnaires ont ainsi découvert.

La Réserve naturelle du Bois du parc n’a pas le titre de réserve géologique ; pourtant, vous vous préoccupez principalement de la protection de ce patrimoine. Comment expliquez-vous cet état de fait ?
La réserve a été créée en 1979. À cette époque, il était question d’étendre une carrière existante et l’on envisageait la déforestation de tout un secteur. Les riverains et usagers se sont opposés à ce projet en mettant en avant des intérêts floristique et faunistique. Aujourd’hui, ce serait différent, on ne verrait pas que cet aspect des choses. La géologie serait même sur le devant de la scène. En effet, là où nous sommes, l’Yonne a creusé son lit dans un calcaire dur : un calcaire corallien. Elle a mis en évidence un récif fossilisé. Dans toute la vallée, les falaises révèlent les écosystèmes naturels qui s’y sont fixés. Cette réserve naturelle nationale n’a pas le titre de réserve géologique. Elle le mérite pourtant.

Mais alors… comment avez-vous pris conscience que vous abritiez un patrimoine géologique à préserver ?
Nous avons simplement ouvert les yeux, vu que des géologues, des universitaires, fréquentaient notre site pour sa richesse géologique. Ils y faisaient des recherches.
D’évidence, il y avait là un potentiel et il fallait comprendre lequel. Nous avons fouillé la bibliographie pour nous apercevoir qu’existait toute une littérature sur le sujet. En effet, à l’occasion de l’ouverture de la carrière, en 1967, le site avait été décrit avec précision.

C’est un peu paradoxal… la création d’une exploitation, donc l’aliénation de la roche, a été le révélateur des richesses patrimoniales.
On peut même ajouter que tout ce qui a été extrait pendant l’exploitation de la carrière a définitivement disparu. Cependant, cette entreprise a également permis de rafraîchir une paroi de la falaise. Et donc de faire évoluer les connaissances sur le patrimoine géologique.

Revenons en arrière… Vous avez pris conscience que votre réserve abritait des richesses géologiques. Comment êtes-vous passé de cette prise de conscience à la mise en place d’une protection effective ?
Celle-ci ne s’est faite véritablement qu’à partir du moment où nous avons travaillé avec des scientifiques. Et nous avons mis beaucoup de temps puisque la première étude géologique de la réserve naturelle n’a été effectuée qu’en 2001, au moment de la mise en œuvre du plan de gestion. Cette description géologique du site, confiée à l’université de Dijon, nous a permis de nous apercevoir que nous travaillions seuls. Leur bibliographie faisait souvent référence aux mêmes personnes, celles qui avaient décrit le site dans les années 1970, or nous n’avions pas pris contact avec elles. Nous avions évolué de manière cloisonnée : d’un côté les scientifiques, de l’autre les gestionnaires.
Depuis, nous essayons de faire tomber ces cloisons.

Vous avez donc acquis une formation de géologue…
Non. Nous n’avons pas, en interne, les connaissances et les compétences suffisantes pour appréhender, et donc gérer, ce patrimoine exceptionnel.
Personnellement, j’ai beaucoup lu, creusé… mais mon interprétation reste encore trop superficielle. Quand je me penche sur des descriptions géologiques, j’avoue avoir encore du mal. C’est pour cela que nous développons un partenariat et un relationnel très fort avec les géologues.

Concrètement comment cela se décline-t-il ?
Nous avons proposé à un géologue, un ancien professeur de l’université de Dijon qui apparaissait régulièrement dans les publications, de faire partie du comité de gestion de la réserve naturelle. Je l’interroge très souvent.

Comment savoir si un site abrite du patrimoine géologique ?
Il faut faire un inventaire puis une évaluation. On peut également avoir la puce à l’oreille en observant sur le terrain. S’il y a des affleurements, des stratifications… Ensuite, il faut avoir la volonté de travailler sur ce thème méconnu ou mésestimé ; et pour cela, il faut aller vers les spécialistes. Il faut aller sur le terrain avec eux, afin qu’ils nous donnent leur lecture des falaises, de la paroi, des fossiles.
Nous, professionnels de la nature, on voit ce qui pousse tandis que le géologue pose son regard sur une cavité, il explique pourquoi, là, il y a un fossile ; pourquoi, ici, le terrain est rempli de sédiments. Il en déduit qu’auparavant il y avait tel type de milieu… Ces gens-là savent faire parler la roche.
Ensuite, il incombe au gestionnaire de se réapproprier les informations, de les traduire et de les vulgariser. Cela suppose un gros effort de la part du professionnel de la nature. 

Comment sait-on si cette roche a de la valeur, c’est-à-dire s’il s’agit de patrimoine géologique ?
Il existe des outils d’évaluation, notamment le Vade-mecum établi par le Muséum. Celui-ci propose de renseigner un certain nombre de critères et d’indicateurs pour aboutir à une notation finale. Mais il faut reconnaître que, là encore, l’appui d’un géologue est nécessaire. Sinon, on peut s’appuyer sur l’inventaire du patrimoine géologique piloté dans chaque région de France par les Dreal.
Il faut également prendre en compte l’élément « rareté » car c’est lui aussi qui confère une valeur à ce patrimoine. Chez nous, par exemple, en l’absence de perturbations, les polypiers ont été fossilisés en position de vie. C’est assez peu fréquent en France.

Faut-il également évaluer le degré des menaces ?
Tout à fait. Celles-ci peuvent être d’origine naturelle ou anthropique. Nous avons procédé à cette évaluation sur notre site et constaté qu’il y avait peu d’érosion, car nous sommes en présence d’un calcaire très dur. En revanche, nous sommes soumis à quelques prélèvements sauvages. Il est d’ailleurs dommage que notre décret de création ne permette pas une protection réglementaire de ce patrimoine. Juridiquement, nous n’avons pas d’outil adéquat pour verbaliser.

Conseillez-vous à d’autres gestionnaires d’espaces naturels, pour qui l’intérêt géologique de leur site est moins évident, de s’intéresser à la question ?
C’est indispensable car il s’agit d’un patrimoine ultime.
Une érosion… et ce patrimoine disparaît ad vitam æternam. Notre formation et notre instinct ne nous amènent pas à nous pencher si naturellement sur la géologie. Disons… que nous sommes plus attirés par le vivant.
Pourtant cette science est utile, ne serait-ce que pour comprendre comment fonctionne un site, comment il a évolué : à l’origine de la flore, de la faune, de tout… il y a la roche. •

Benoît Fritsch est garde technicien animateur à la Réserve naturelle du Bois du parc