Les paysages sont marqués par leur roche
La géologie fait les paysages, son empreinte influence également habitats et espèces. À l’exemple de la serpentinite dont la composition chimique n’autorise aucun arbre.
La morphologie et l’allure de nos paysages résultent de l’interaction d’un ensemble de facteurs. À la base de tout : le soubassement, rocheux ou alluvial. Ainsi, pas de zones humides, de peupliers ou de canards sur des platiers calcaires ; pas plus que l’on ne trouve des chênes et lézards verts sur des argiles.
C’est ainsi que les délimitations d’appellations viticoles tiennent compte du sous-sol. L’AOC Chablis n’est attribuée que pour des terrains calcaires abritant un fossile particulier : une petite huître, Exogyra virgula, datant du Kimméridgien, à savoir du Jurassique supérieur (env. 155 millions d’années). Certes la pente, l’exposition, le sol…, tout ce qui définit le climat d’un vin intervient, mais la seule chose qui différencie les Côtes de Nuits des Côtes de Beaune, c’est la roche.
C’est encore la roche qui est à l’origine de la première réserve mondiale dans la forêt de Fontainebleau. Sa végétation et ses paysages sont dus au mélange de sables à gros blocs de grès qui émergent de manière irrégulière, source d’inspiration pour les peintres de l’École de Barbizon. En 1836, les coupes de vieilles futaies sont ajournées tandis que c’est à titre artistique que, en 1861, onze ans avant le Parc national de Yellowstone, la première réserve voit le jour (1 000 ha).
D’autres exemples encore ? En Aveyron, à une petite dizaine de kilomètres de Decazeville, la région boisée laisse soudainement apparaître une colline, une seule, sans un arbre, sans une maison. Cette colline chauve, nomée Puy de Wolf (commune de Firmi) est constituée d’une roche verte, avec de jolies moirures plus sombres ou jaunâtres. Cette pierre fut utilisée au Moyen-Âge pour construire notamment la fontaine du cloître de Conques. Elle ressemble à une peau de serpent, d’où son nom : serpentinite. Il s’agit d’une partie du manteau terrestre transformée par circulation de fluides hydrothermaux. La serpentinite ne permet pas aux arbres de pousser du fait de sa composition chimique : déficience en potassium et relative déficience du calcium par rapport au magnésium, mais aussi, sans doute, présence de métaux toxiques (nickel, chrome, cobalt). Les sols de serpentine sont impropres à l’agriculture.
Le sous-sol est donc en relation avec le paysage et ne permet pas toujours à l’homme de le façonner à son gré.
Constitué de roches issues du manteau terrestre, le Puy de Wolf n’est pas pour autant un volcan. La flore de cette colline, du fait des serpentinites est tout à fait particulière et de ce fait inscrite sur le réseau Natura 2000. Ces 134 hectares constitueraient le gisement de serpentinite le plus important d’Europe. Elle date d’environ 400 millions d’années et témoigne de la fermeture d’un ancien océan.
Dans cette lande couverte de genêts purgatifs, se trouve une curiosité : le « Tabouret de Firmi », plante endémique en forme de candélabre et à petites fleurs blanches… unique au monde. À peine plus répandue, la Marguerite du midi comme l’Euphorbe de Coste. Pour se défendre de la toxicité de la roche, ces plantes ont développé des défenses particulières et bloquent les éléments toxiques dans leurs racines.
Quelques autres collines possèdent une telle roche. Ainsi dans le Nord de l’Ardèche (au nord d’Annonay), se remarque le Suc de Clava. Sur ce site la roche est également riche en chrome, cobalt, cuivre et nickel, supposés être des poisons pour les plantes. La végétation est très particulière et justifie son classement en zone Natura 2000. Seul le pin sylvestre semble s’accommoder de ce chimisme, les chênes, frênes élevés ou autres sorbiers des oiseleurs… ne dépassent pas quelques dizaines de centimètres de hauteur.
Aux limites du territoire national, dans la plaine du Pô, s’illustre aussi le Mont Pelé dont la dénomination est sans ambiguïté. Au Japon enfin, plusieurs montagnes de serpentinite sont appelées Bozu-yama, bozu signifiant soit une tête chauve soit un moine bouddhiste, ce qui revient au même ; et yama, montagne. La géologie fait les paysages, son empreinte influence également habitats et espèces, ce n’est plus à démontrer. •