avec Jacques Lepart. Vice-président de la Fédération des conservatoires d’espaces naturels

« Un conflit peut en cacher d’autres »

 
Biodiversité, chasse et agriculture

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

L'entretien

Moune Poli
Rédactrice en chef

 

Dans les rapports gestionnaires, chasseurs, agriculteurs, la discussion tourne souvent à la confrontation. Est-ce inévitable ?
Souvent les confrontations entre ces acteurs sont liées à l’accès au territoire ou à des positionnements éthiques… En réalité la question clé n’est pas celle-là. Il faut voir les conflits sous un autre œil et comprendre que la gestion de l’habitat est plus fondamentale que les questions liés à la quantité et au type de prélèvements. Que l’on touche à la gestion des territoires et des paysages, à l’occupation des sols, d’autres conflits, beaucoup plus silencieux, mais aussi beaucoup plus importants, apparaissent.

Lesquels ?
Partons d’un exemple très concret. Celui du sanglier. Il y a presque deux siècles, il était considéré comme disparu dans l’Hérault et le Gard. Depuis, la situation s’est totalement inversée. Or, la pression de chasse n’a pas diminué. C’est que la rareté du sanglier n’était pas un problème de chasse et de chasseur mais un problème d’occupation du sol et de gestion du milieu.
La surface forestière était deux fois et demie moins importante qu’aujourd’hui et des ressources abondantes, comme les glands de chêne, étaient rares du fait de la réduction de la superficie forestière, de la fréquence des coupes de bois, de l’intensité du pâturage. L’homogénéisation des paysages et les changements de pratiques agricoles, à mettre en parallèle avec le déclin de la faune, montrent que la gestion de l’habitat est, au moins, aussi importante que les prélèvements d’espèces. Selon la façon dont on gère cette question, il peut, ou non, y avoir communauté d’intérêt entre la chasse et la protection de la nature.

Comment aborder cette question et quelles solutions se dessinent pour aller à l’encontre des conflits ?
La façon la plus directe et la moins féconde pour la diversité est de procéder à des repeuplements avant la période de chasse. En effet, elle a peu d’effet pour le reste de la faune si ce n’est pour les prédateurs.
Une autre façon d’intervenir est de gérer les habitats d’une partie de l’espace autrefois dévolu à l’agriculture afin de préserver ou d’améliorer la biodiversité dite patrimoniale ; que le site ainsi créé soit ou non chassable.
La démarche a été mise en œuvre par les conservatoires dans des milieux semi-naturels issus de l’activité agricole. Leurs terrains rentrent dans le droit commun de la chasse chaque fois que c’est possible. Des synergies peuvent ainsi être trouvées avec les fédérations de chasseurs. Elles ne sont pas à sens unique : par exemple, une association de chasseurs vient adosser sa réserve de chasse à un étang du conservatoire fréquenté par des grues, leur assurant ainsi une meilleure quiétude.

Soustraire des espaces à la production agricole ne peut être réalisé que sur une partie de l’espace relativement modeste…
Il y a alors une troisième voie, la plus difficile ; elle consiste à rendre l’espace agricole plus hospitalier pour la biodiversité. Cette voie devient moins utopique que dans le demi-siècle passé. En effet, l’intensification agricole a trouvé ses limites. De nombreux agriculteurs cherchent à mettre en place des formes d’agriculture plus durables.

Retenons cette hypothèse. Des conflits peuvent encore surgir autour des méthodes de gestion ?
Une gestion trop exclusivement centrée sur le gibier peut avoir des effets négatifs sur d’autres composantes de la biodiversité. La situation reste généralement réversible et il est possible de rechercher des compromis. De manière assez générale, c’est la mono-fonctionnalité, le centrage sur un petit groupe d’espèces gibiers voire d’espèces patrimoniales, qui devrait être évitée.

Où situer le curseur de l’acceptable pour un gestionnaire ?
La mise en place de la trame verte et bleue ou des schémas régionaux de cohérence écologique devraient faciliter la conciliation des usages et permettre de prendre en compte l’ensemble des enjeux dont la chasse fait évidemment partie. Il s’agit d’un travail considérable qui suppose une analyse précise des enjeux, la lisibilité du positionnement des uns et des autres, l’analyse des effets récurrents des pratiques. Les conservatoires par exemple, cherchent à définir un objectif commun avec leurs partenaires, c’est rarement celui qui serait idéal pour le naturaliste.
Mais aussi limités que soient les premiers pas, ils commencent à tracer un chemin que l’on pourra, le cas échéant, emprunter plus tard. La seule façon de convaincre est de rester en situation de dialogue. Les représentations de la nature, les positionnements éthiques n’ont d’autres intérêts, dans cette démarche concrète et pragmatique, que de servir de points de repère, de définir un champ des possibles. •

En savoir plus : jacques.lepart@cefe.cnrs.fr