Enjeux

Connaître, oui. Mais pour quoi faire ?

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Le Dossier

Francis Meunier
Directeur adjoint CEN Picardie

 

Un suivi ne relève pas du plaisir ludique du naturaliste qui voudrait tout connaître.

Plusieurs raisons conduisent le gestionnaire à mener des suivis. Il y a sans conteste des origines objectives et d’autres résultant de propositions de partenaires (la recherche par exemple). En premier lieu, les suivis relèvent d’un enjeu de connaissance. Ils vont permettre au professionnel de valider, ou non, ses choix. En effet, le gestionnaire voudra évaluer sa gestion (ai-je atteint mon objectif ?), qu’elle soit active ou relève de la non-intervention, et pour ce faire, il devra analyser les résultats de suivis. Des suivis qui diffèrent selon que l’espace soit géré dans la perspective de conservation d’une espèce ou d’un groupe d’espèces à forte valeur patrimoniale ou du rétablissement de grandes fonctions écologiques. Ils peuvent alors concerner aussi bien des espèces très rares, cibles de la gestion, ou plus communes mais indicatrices de l’état de conservation d’un habitat (1). Seconde raison pour laquelle un gestionnaire doit évaluer ses pratiques : la nécessité de justifier ses choix et leurs résultats auprès de ses partenaires. • Des partenaires financiers : la gestion a un coût et il faut alléguer de la bonne utilisation de l’argent public. • Des usagers multiples : les options de gestion peuvent modifier ou restreindre certains usages ou perceptions du milieu naturel. Il n’est qu’à interroger des habitants après une opération de déboisement dans l’objectif de restaurer un milieu ouvert (ou a contrario de non-restauration d’une digue après tempête) pour percevoir qu’il faut démontrer la pertinence de ses choix en relation avec les objectifs de conservation du patrimoine naturel. L’enjeu est à la fois d’asseoir la crédibilité du gestionnaire mais aussi de sensibiliser les différents usagers aux pratiques mises en place. Souvent un gestionnaire a besoin de références à d’autres échelles que celle de son espace d’action pour évaluer ses propres résultats. Le fait est que compiler des résultats de plusieurs sites ou se servir de suivis réalisés à des échelles géographiques plus vastes (zone de protection spéciale ZPS, zone spéciale de conservation ZSC, observatoire régional…) alimente les politiques publiques. La guerre des chiffres peut devenir d’autant plus aiguë qu’ils touchent à des sujets sociologiquement sensibles (dates de chasse, effectifs des loups…). Dans ce cas, il est essentiel de s’assurer que les résultats sont suffisamment robustes. C’est pourquoi il arrive que l’on fasse intervenir un comité d’experts (le Groupe d’experts sur les oiseaux et leur chasse par exemple) qui valide, ou non, les conclusions tirées des résultats. L’enjeu d’un suivi peut donc être éminemment politique. Une chose est sûre : la mise en place de suivis ne relève pas du plaisir ludique du naturaliste qui aimerait tout connaître sur l’état et le fonctionnement écologique du site géré mais découle bien de choix réfléchis. En revanche, on ne peut pas tout suivre. Il est donc nécessaire de se demander à quelle question on souhaite répondre en mettant en place un suivi. Dans tous les cas, ne pas oublier qu’une réponse fiable demande du temps. Se jouent alors toute l’importance de bien poser la question initiale et le fait d’adopter le protocole en conséquence. •

1. On pourra utilement se reporter au dossier paru dans Espaces naturels 40, octobre 2012, traitant de l’état de conservation.