Suivi, les trois questions préalables

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Le Dossier

Jean-Dominique Lebreton
Cefe CNRS

Comment faire pour que les données récoltées lors d’un suivi soient vraiment pertinentes et permettent de comprendre le fonctionnement du système écologique ? Quels principes de base sont à connaître ?

Tout suivi suppose que les informations récoltées soient suffisamment pertinentes pour permettre de comprendre le fonctionnement du système écologique et d’en éclairer la gestion. En pratique, cette maxime nécessite d’adopter, préalablement à toute action, un petit nombre de principes.

S’intéresser aux flux Comme tout système complexe, les systèmes écologiques sont instables. Le premier principe suppose de dépasser les patrons descriptifs pour chercher plutôt à identifier le plus précisément possible les processus sous-jacents au changement observé ; ainsi que l’ampleur des modifications attendues sous l’effet des activités humaines. Ceci suppose de s’intéresser aux flux de matière et d’énergie pour les écosystèmes (flux de naissance, de mort, de dispersion pour les populations) qui régissent la dynamique de ces systèmes. La tentation pourrait être de s’intéresser uniquement à l’état de l’écosystème. Le regard en serait faussé. En effet, deux écosystèmes peuvent être dans un état d’apparence similaire et, en réalité, être soumis à des flux différents qui les amèneront à évoluer dissemblablement. Ce principe peut être illustré par la figure 1 qui représente trois baignoires. Avec un niveau équivalent, les baignoires A et B ont un état similaire. Leur réalité cependant n’est pas analogue, puisque le flux du robinet est différent dans les deux cas. Il sera judicieux d’observer que la dynamique des flux est similaire pour les baignoires A et C qui devront être soumises au même type d’intervention. Appliqué à la gestion des espaces naturels et s’agissant par exemple des populations de vertébrés, ce principe renvoie à la nécessité de faire des suivis combinant estimation des effectifs et d’individus, (marqués pour apprécier les flux démographiques (1)). C’est ainsi que l’on a pu comprendre la décroissance rapide des populations occidentales de cigognes blanches hivernant au Sahel : s’agissait-il d’une dégradation des conditions d’hivernage ou de nidification ? Concernant la population nichant au Bade-Wurtemberg, une relation entre probabilité annuelle de survie et pluviométrie dans l’aire d’hivernage sahélienne a permis de modéliser avec précision les effectifs nicheurs de 1957 à 1973 (figure 2). Ce qui a permis d’attribuer, dans le patron de décroissance, un rôle prédominant à la sensibilité aux épisodes de sécheresse au Sahel.

Évaluer la précision du suivi dans le temps et l’espace Le second principe de base consiste à bien percevoir que les données constituent un apport d’autant plus conséquent qu’elles s’inscrivent dans l’espace et dans le temps. Il en est ainsi des cigognes en Alsace. On a pu observer que la pente d’une régression linéaire entre survie et pluviométrie printanière se stabilise à partir de neuf années de données (figure 3A), mais ne devient significative qu’à partir de dix-huit ans (figure 3B). Pour optimiser les suivis, il convient donc d’évaluer la précision attendue dans l’espace et dans le temps pour pouvoir détecter un changement considéré comme biologiquement signifiant qu’un gestionnaire pourra prendre en compte.

Évaluer les variables Le troisième principe porte sur la mesure des variables elles-mêmes. Lors de comptages d’individus ou d’événements, qu’il s’agisse d’estimer des effectifs, des taux de mortalité, des probabilités de floraison…, la sous-estimation est la règle. À titre d’exemple, suite à une forte sécheresse hivernale, un recensement des ophrys en Languedoc au printemps 2012 conclurait à la rareté de bien des espèces, les bulbes n’ayant pu produire ni hampes florales ni même rosettes. Pour pallier cette sous-estimation, les méthodes de correction de la détectabilité (dont font partie les méthodes de capture-recapture) des populations et communautés de végétaux et animaux sont actuellement en pleine explosion. Leur emploi induit en général une hausse des effectifs estimés mais aussi, dans certains cas, une révision à la baisse des capacités de croissance des populations, laissant inchangée l’appréciation de l’état de conservation.

Les trois questions préalables Trois principes qui invitent les gestionnaires à se poser trois types de questions : • Comment accompagner les variables d’état de données mettant l’accent sur les mécanismes ? • Comment optimiser la portée des suivis dans le temps et l’espace ? • Comment corriger les mesures de terrain basées sur la détection d’individus ou d’événements ? De quoi organiser, bien en amont, la planification d’un suivi. •

1. Notamment par les méthodes de capture-recapture (voir article p. 25, Cabaret et Besnard).