Encore d’actualité, le suivi des populations ?

 

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Le Dossier

Jean-Philippe Siblet
Directeur du service du Patrimoine naturel - Muséum national d’histoire naturelle

Suivre l’évolution des populations d’espèces est loin d’être une nouveauté et certains réseaux de gestionnaires s’y attellent depuis fort longtemps. C’est le cas notamment des espèces à enjeux cynégétiques pour lesquelles une connaissance fine des populations et de leurs trajectoires conditionne le niveau des prélèvements admissibles. Cependant, le suivi des populations d’espèces est-il encore d’actualité à une époque où l’accent est mis sur l’état de conservation des habitats naturels ? Cette question quelque peu provocatrice mérite néanmoins d’être posée, notamment sous l’angle du choix des espèces qui doivent faire l’objet d’un suivi. En effet, face à la pénurie des moyens disponibles, il y a lieu de faire des choix, parfois douloureux. Ces derniers doivent tenir compte de nombreux paramètres : • le degré de sensibilité ou de menaces. C’est le cas par exemple des espèces soumises à plan d’actions. • la nécessité de poursuivre des séries à long terme qui font cruellement défaut pour beaucoup de groupes. Interrompre un tel suivi, ne serait-ce qu’une année, peut compromettre une interprétation fiable des résultats de la série temporelle. • le caractère « indicateur » des espèces suivies. Une part très significative des espèces faisant l’objet de suivis concerne des vertébrés ou des végétaux supérieurs. Est-on sûr que l’état de ces espèces soit totalement révélateur de l’état des écosystèmes ? Collemboles, myriapodes et lichens n’auraient-ils pas des enseignements pertinents à nous fournir sur l’état de la litière forestière, de nos sols, de la qualité de l’air ? Dans ce domaine, une clarification sémantique et fonctionnelle s’impose : un suivi n’est pas un inventaire. Un inventaire se matérialise par une donnée de présence (ou trop peu souvent d’absence) d’une espèce sur un territoire donné. Les plus modernes d’entre eux abordent, à la marge, l’aspect quantification. Le suivi implique d’appréhender les relations qui peuvent exister entre la dynamique de la population d’une espèce et la gestion du territoire qu’elle occupe. Ceci interroge sur l’objectif d’un suivi : quelles questions se posent ? Quels protocoles permettront le mieux d’y répondre ? Enfin, il y a lieu de réfléchir aux relations qui doivent s’établir entre les opérateurs des suivis, les agents chargés du traitement des données et la façon dont ces informations doivent être communiquées aux gestionnaires pour qu’ils puissent les traduire dans leurs plans de gestion. Les suivis d’espèces ont de beaux jours devant eux, notamment par leur contribution à la documentation des conséquences des changements qui affectent notre planète. Néanmoins, leur pérennité et leur efficacité passent par un effort de rationalisation et de communication des opérateurs et des gestionnaires pour convaincre les décideurs de leur pertinence. •