L’enquête

Voici venu le temps de l’harmonisation

 
Depuis 50 ans, les parcs nationaux collectent des données naturalistes

Espaces naturels n°41 - janvier 2013

Le Dossier

Gilles Landrieu
PNF
Aurélien Besnard
Cefe CNRS

Parcs nationaux de France s’est penché sur le contenu des suivis menés sur ses territoires. Au final, un foisonnement d’informations s’est fait jour, qu’il faudrait harmoniser pour gagner en efficacité.

Depuis 1963, chacun des parcs nationaux a mis en place un dispositif d’inventaire et de suivi de son patrimoine naturel. Ces démarches répondent aux besoins de connaissances utiles pour gérer le territoire protégé et, également, pour communiquer sur ses richesses. In fine, nous sommes aujourd’hui en présence d’une abondance de données naturalistes mais également devant une diversité de protocoles.
En 2010, Parcs nationaux de France a souhaité y voir clair.
L’organisme a missionné le Cefe-CNRS pour réaliser une synthèse de l’ensemble des opérations de suivi menées par les sept premiers parcs. L’harmonisation des données est-elle possible ? Elle pourrait permettre d’augmenter l’efficience des suivis. Par ailleurs, ce travail de mise à plat visait à constituer un socle pour hiérarchiser les opérations scientifiques en cours et pour construire la stratégie scientifique dans laquelle chaque parc est engagé avec son conseil scientifique.

Visées. Le premier objectif ambitionnait de réaliser un état des lieux des programmes menés par chaque établissement. Il s’agissait de garantir une transmission structurée de la mémoire scientifique de l’institution et de renforcer sa démarche qualité.
Au niveau inter-parcs, ce travail visait à construire une vision partagée des programmes en cours ; il devait permettre d’identifier les opérations nécessitant des rapprochements méthodologiques entre parcs ou dans les réseaux nationaux.
Par ce biais, les initiatives innovantes pouvaient être révélées, autorisant de construire de nouveaux protocoles coordonnés mais aussi de mettre en relation les données du tableau de bord du patrimoine et des usages des parcs avec les opérations scientifiques qui les ont produites. Enfin, la tâche autorisait à mieux communiquer sur ce travail collectif.
 

État des lieux. Dans un premier temps, une grille commune de description des opérations scientifiques sur les espèces et les habitats a été définie. Elle visait à implémenter une base de données.
La démarche convoitait également d’apporter un appui aux établissements afin qu’ils renseignent cette base de données, analysent son contenu, produisent une synthèse critique et forment les équipes scientifiques aux techniques d’échantillonnage. L’analyse révèle l’importance des suivis en cours.
Sur 525 opérations scientifiques intégrées dans la base de données, 435 ont été menées au moins une fois au sein des sept parcs au cours des cinq dernières années. Le nombre d’opérations en cours a constamment augmenté depuis 1960 et plus que triplé depuis 1990. Une progression difficilement soutenable, tant en termes d’identification des priorités que d’animation pour les équipes de terrain.
L’analyse des résultats proprement dite montre que l’étude des différents taxons est déséquilibrée et que les suivis privilégient les grandes espèces emblématiques (cf. figure). Cette observation est typique dans les sciences de la conservation, autant en France qu’à l’étranger.
Ce biais semble avoir des racines historiques et sociologiques (espèces chassées, emblématiques, esthétiques…) mais aussi méthodologiques (difficultés techniques à suivre certains taxons). Ainsi, sur les 362 suivis menés au moins une fois entre 2005 à 2009, presque les deux tiers concernent la faune (62 %), largement devant les thématiques flore (14 %), habitats (10 %), écologie et physique du milieu (7 %) et activités humaines (7 %).
Parmi les protocoles créés au cours des cinq dernières années, 45 % concernent encore la faune même si ce taux diminue progressivement depuis 1980 où il était de 80 %.
Parmi les 225 suivis d’espèces animales, les suivis d’oiseaux (51 %) et de mammifères (34 %) se démarquent largement.
Avant 1980, la totalité des protocoles créés ne concernait que ces deux groupes et ce n’est qu’à partir de 1985 que la proportion de nouveaux protocoles créés les concernant diminuent progressivement (70 % entre 2005 et 2009) au profit des autres vertébrés (amphibiens, reptiles, poissons qui ne représentent que 25 suivis soit 11 %) et des invertébrés (9 suivis soit 4 %).
Le même phénomène se reproduit à l’intérieur des groupes taxonomiques : les ongulés représentent aujourd’hui plus de la moitié des suivis de mammifères, loin devant les carnivores et les chiroptères. De même, près de la moitié des oiseaux suivis sont des rapaces et plus de 20 % sont des galliformes.
Ce qui est vrai pour la faune l’est aussi pour la flore et les habitats : 85 % des suivis de végétaux s’intéressent aux spermatophytes, loin devant les ptéridophytes (12 %) et les algues (3 %).

Optimiser l’effort de terrain. Face à l’augmentation considérable du nombre d’opérations, comment optimiser cet effort de terrain ? Tel est l’objectif des techniques d’échantillonnage.
En effet, aujourd’hui, une large majorité des suivis menés dans les parcs implique un plan d’échantillonnage (62 %). Seule une minorité vise à compter toute la population sur l’ensemble du territoire du parc (38 %).
L’établissement d’un plan d’échantillonnage, légèrement majoritaire dans les suivis dès 1960 (53 %), augmente très faiblement jusqu’en 2000, avant de connaître un réel élan à partir de 2005, sans doute du fait de l’augmentation du nombre d’opérations mais aussi de leur intégration progressive par les équipes scientifiques des parcs.
Pour qu’un échantillonnage soit pertinent, les unités suivies doivent être sélectionnées aléatoirement. Or (et c’est souvent le cas lorsqu’on ne maîtrise pas très bien ces concepts), dans 86 % des suivis statistiques, les échantillons sont sélectionnés de manière subjective (privilégiant les zones de présence connue ou de grande densité et excluant les zones trop difficiles d’accès).
Les résultats de ces suivis sont souvent généralisés à l’ensemble du territoire, même si les sites choisis ne sont probablement pas représentatifs des tendances d’évolutions générales.
Enfin seuls 20 % des 362 suivis menés dans les parcs s’intègrent dans un réseau à large échelle : il s’agit principalement de l’Observatoire des galliformes de montagne, de l’Observatoire national de l’écosystème « Prairie de fauche », du Suivi temporel des oiseaux communs et du réseau Grands prédateurs de l’ONCFS.
Objet d’une forte participation des services scientifiques des parcs et accueilli chaleureusement par les directions, les conseils scientifiques, PNF et les agents des établissements (devant lesquels ont été organisées des restitutions), ce travail devrait atteindre ses objectifs visant à faciliter la définition de la stratégie scientifique de chaque parc. Dans sa dimension interparcs, il devrait permettre d’identifier les thèmes communs et de commencer à construire des protocoles partagés. •