Formez-vous à la biostatistique

 

Espaces naturels n°45 - janvier 2014

L'entretien

Aurélien Besnard
Ecologue CEFE-CNRS Montpellier, Maître de conférence EPHE

Pourquoi recommander aux gestionnaires de gagner en compétences en termes de biostatistique (1) ?

La biostatistique est une discipline qui a beaucoup évolué ces dernières années. Les méthodes sont nombreuses et pourraient vraiment améliorer les résultats des gestionnaires dans leurs suivis. Mais ils sont peu nombreux à lire les revues scientifiques anglaises … Lors de mes formations, les stagiaires se rendent compte des erreurs grossières qu’ils Stage de suivi d’odonates Atenpeuvent faire dans leurs protocoles, parfois depuis des années. Une simple analyse avec un regard statistique permet de remettre les choses en ordre. Dans l’idéal, il faudrait quelqu’un de compétent en statistique dans chaque réseau de gestionnaires à mon avis. Et l’investissement est très rentable d’un point de vue de la qualité des résultats. 85 % des plans d’échantillonnage ne sont pas basés sur un protocole pertinent. Par exemple dans la manière de sélectionner les lieux pour le suivi d’une population, on voit que le bon sens ne suffit pas. La biostatistique nous dit qu’il ne faut pas privilégier les sites sur lesquels on sait qu’on va trouver l’espèce. Il y a des méthodes pour sélectionner les sites de façon fiable. Idem pour pallier les biais d’observation. L’importance de ces problèmes est très souvent sous-estimée.

Les espaces naturels font pourtant assez souvent appel au monde de la recherche…
Oui, mais il manque souvent un maillon entre les gestionnaires et les chercheurs. C’est vrai qu’il faut mobiliser les chercheurs car ils maîtrisent souvent l’état de l’art sur une question ou un taxon. Mais pour un chercheur, il faut que les résultats obtenus soient généralisables. Sans parler du fait qu’ils subissent une grosse pression pour publier des résultats. Les pas de temps et échelles spatiales sont souvent très différents entre recherche et gestion.

Le gestionnaire d’espaces naturels veut des résultats pratiques localement et tout de suite. Il est donc souvent difficile de motiver les chercheurs à travailler sur les questions ponctuelles des gestionnaires car ces derniers les mobilisent non pas pour une mission de recherche mais pour leur expertise, ce qui peut apparaître comme un bénéfice à sens unique. La « simple » construction d’un protocole rigoureux pour estimer une taille de population ou mesurer un effet d’une mesure gestion, relève bien souvent plus de l’ingénierie que de la recherche.

Quelles sont les solutions pour intégrer des compétences en biostatistique dans son équipe ?
Outre les formations courtes de l’Aten, qui permettent une bonne sensibilisation, il y a des master de biostatistiques qui pourraient fournir de bons candidats à recruter. Il y a aussi un diplôme EPHE en 3-4 ans pour les gens qui reprennent des études en parallèle de leur travail. 6 modules à valider et un mémoire. J’ai chaque année des agents d’espaces protégés parmi mes étudiants. Les niveaux et postes sont très hétérogènes mais au fi nal, il y a vraiment une grosse plus-value. Quand ils ont un bon lien avec le service qui fait les protocoles, ils permettent de gagner beaucoup en rigueur. On pourrait aller jusqu’à dire que ça change leur vision du monde.
En tout cas, je vois que les gestionnaires d’espaces naturels commencent à prendre conscience de leurs lacunes car le nombre de sollicitations que je reçois ne cesse d’augmenter !

(1) Aurélien Besnard a présenté son habilitation à diriger les recherches en septembre dernier à l’école pratique des hautes études « D’une nécessaire interface entre biostatistiques et conservation de la nature » http://bit.ly/1gyaqhN. Il est également formateur à l’Aten depuis plusieurs années sur la session « concevoir, mettre en oeuvre et valoriser les suivis d’espèces. »

(1) Aurélien Besnard a présenté son habilitation à diriger les recherches en septembre dernier à l’école pratique des hautes études « D’une nécessaire interface entre biostatistiques et conservation de la nature » 

Il est également formateur à l’Aten depuis plusieurs années sur la session « concevoir, mettre en oeuvre et valoriser les suivis d’espèces. »