Languedoc-Roussillon

Qui fait quoi ?

 
La prise en compte de la biodiversité dans le contournement ferroviaire Nîmes-Montpellier

Espaces naturels n°45 - janvier 2014

Le Dossier

Coralie Calvet
Université d'Avignon, INRA
Fabien Quétier
Biotope, Mèze

L’étude d’impact : la première étape avant la séquence ERC

Le projet CNM (contournement Nîmes-Montpellier) s’inscrit dans le projet de ligne à grande vitesse de Valence à Marseille et Montpellier qui a été déclaré d’utilité publique (DUP) le 31 mai 1994. Il est finalement lancé en mars 2000 sur la base des propositions de Réseau Ferré de France (RFF) : une ligne mixte voyageurs et fret de plus de 80 kilomètres. La DUP de 1994 n’étant valable que 8 ans, de nouvelles études et consultations ont été menées dans les années 2000. Une phase de concertation rassemblant plus de 1200 personnes a été organisée en 2003, précédant l’enquête publique aboutissant à la DUP par décret ministériel du 16 mai 2005.

En conformité avec la réglementation, l’enquête publique doit être informée par une étude d’impact environnemental qui présente le projet, ses impacts probables sur l’environnement, et les solutions d’évitement, de réduction et de compensation de ces impacts.

Des inventaires ont été menés par Biotope  à partir de 2001 sur toute la longueur du tracé nécessitant plus de 1000 « journées-homme » sur le terrain (ils se sont prolongés jusqu’au début des travaux et continuent encore aujourd’hui).

Thomas Menut, directeur d’études en charge du projet CNM pour Biotope :
« Les réalités imposées par l’aménageur et les exigences réglementaires ont demandé un travail d’une ampleur considérable, notamment lors des 2 dernières années: remise à jour des états initiaux faune et flore, Loi sur l’Eau, études d’incidence et réalisation du dossier de dérogation. Il a fallu mobiliser en très peu de temps de gros moyens en interne. Notre force dans ce projet a été la connaissance du terrain depuis de longues années puisque nous avons réalisé les inventaires écologiques pendant 12 ans. »

L’étude d’impact a révélé l’enjeu que constituait l’Outarde canepetière (Tetrax tetrax), un oiseau très rare en Europe dont les Costières Nîmoises concentrent environ 30% des effectifs nicheurs français, et une forte croissance (+ 125% depuis 2004) du fait d’une évolution de l’utilisation des terres qui a été très favorable à l’Outarde. Le choix du tracé résulte de l’étude d’impact ayant conduit à la DUP de l’ensemble du réseau ferroviaire. Datée de 1994, la DUP a été accordée avant l’expansion des populations d’Outarde et la désignation de la Zone de Protection Spéciale en 2006. Toutefois, certaines modifications du projet ont pu être introduites sur la base des inventaires réalisés, notamment pour éviter une station de Lythrum thesioides, une des dernières au monde.

Violaine Bernard, chargée de mission Environnement pour RFF :
« L’environnement est vraiment aujourd’hui une donnée d’entrée, ce qui pousse les aménageurs à modifier leur conception habituelle des projets, en fonction des enjeux environnementaux rencontrés. Les mesures environnementales représentent des investissements lourds en termes financiers et aussi en temps. Pour exemple, la modification du tracé de jonction pour éviter le Lythrum thesioïdes a entraîné des surcoûts en termes de conception et de travaux et pénalise les conditions d’exploitation du CNM. Dans ce projet, RFF a voulu s’assurer d’une bonne prise en compte des enjeux environnementaux, les impacts sur le territoire étant importants. »

Récapitulatif du total des superficies impactées directement par le projet CNM par type de milieux :
 

  Hectares
Milieu Humide 21,3
Garrigue 28,8
Milieu Ouvert et/ou Agricole 560,8
Boisement 5,6
Milieu Anthropisé 36,3
Total * 652,8

 * Total des surfaces sous emprises directes (hors surfaces de dérangement et de fonctionnalités perdues)

Ces impacts nécessitent alors des demandes d’autorisation au titre de réglementations spécifiques : comme par exemple la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, le code forestier, ou l’article L.411-1. du Code de l’Environnement relatifs aux espèces protégées. Au titre de la réglementation Natura 2000, le projet a également mobilisé un dossier d’évaluation d’incidence, le tracé traversant la ZPS.

La compensation du projet CNM : un travail collectif de longue haleine

Au vu des impacts, les services instructeurs ont souhaité que les mesures compensatoires soient anticipées et incorporées à la conception du projet ferroviaire. Les réflexions sur la compensation ont débuté dès 2004 par une phase exploratoire rassemblant RFF et le Conservatoire des espaces naturels du Languedoc-Roussillon (CEN-LR), en groupement avec la Chambre d’agriculture du Gard, la SAFER et le Centre Ornithologique du Gard (COGard). Il s’agissait de mesurer la faisabilité des actions de compensation en travaillant, d’une part, sur la facilité d’acquisition foncière locale, et d’autre part, sur le consentement des agriculteurs à signer de futurs contrats agri-environnementaux favorables à l’Outarde.

Guy Marjollet, responsable de l’équipe biodiversité et élevage de la Chambre d’Agriculture du Gard :
« L’objectif de la chambre d’agriculture était de rendre compatible un certain niveau d’exigence ornithologique aux cahiers des charges des agriculteurs. Ce projet a mobilisé une approche transversale entre les différents partenaires ce qui a été très riche intellectuellement. Maintenant le défi est de pouvoir assurer la gestion de ces contrats avec les agriculteurs pendant 25 ans dans un contexte où l’évolution économique agricole locale est incertaine. »

Cinq années d’expérimentations en partenariat avec les acteurs locaux

Inspirés des mesures agri-environnementales déjà existantes et avec le support scientifique du Centre d’études biologiques de Chizé, 270 hectares ont ainsi fait l’objet de tests dès 2007 chez des agriculteurs afin d’adapter les cahiers des charges des mesures agri-environnementales (MAE) pour les futures compensations. Le CEN et le COGard ont joué le rôle d’experts dans l’évaluation de la compatibilité des parcelles agricoles avec les compensations pour l’Outarde. Un catalogue de mesures, appelées MAE-RFF, a ainsi été élaboré et sera déployé, à terme, à l’échelle du projet.

Daniel Bizet, directeur du Centre Ornithologique du Gard (COGard) :
« La définition des mesures compensatoires en partenariat avec les structures de conservation de la nature a permis de bien calibrer et de rendre opérationnelles les MAE-RFF avec les enjeux locaux de préservation de l’Outarde. Cependant, nous regrettons que l’outarde ait fait l’objet d’autant d’attention au détriment d’autres espèces toutes aussi importantes comme l’Œdicnème criard ou le Lézard ocellé. L’enjeu maintenant concernant les mesures compensatoires va être le suivi de l’efficacité de celles-ci sur la dynamique locale de population des oiseaux. »

Suite aux premières estimations des besoins de compensations, RFF s’est engagé en 2009 à acquérir 100 hectares de milieux défavorables à l’outarde avec l’objectif de les rendre favorables, et à conventionner 640 hectares de parcelles agricoles avant la mise en service du CNM. Le CEN, en groupement avec la chambre d’agriculture, le Co-Gard et la SAFER ont été retenus suite à l’appel d’offres de RFF pour « la mise en œuvre des mesures compensatoires dans la ZPS Costières de Nîmes ».

Entre 2011 et 2012, 100 hectares d’anciennes terres agricoles (vergers, oliveraies) ont été achetés par RFF pour être transformés en milieux ouverts favorables aux outardes et aux œdicnèmes, puis gérés par des agriculteurs, pour être in fine rétrocédés au CEN. La Chambre d’Agriculture a mis en place des formations et un suivi des agriculteurs pour les accompagner dans leurs engagements avec RFF.
Dès la fin 2011, 640 hectares ont pu être conventionnés : 46 contrats agri-environnementaux ont été signés avec des agriculteurs volontaires pour une durée de 5 ans renouvelables (5 fois) avec le CEN. Le CEN assure la gestion administrative des conventions pour le compte du maître d’ouvrage ; le suivi et l’accompagnement des agriculteurs sont réalisés en partenariat avec la Chambre d’Agriculture.

Claudie Houssard, directrice du CEN-LR :
« Les mesures compensatoires ont été bien intégrées au projet de territoire car elles ont fait l’objet d’une forte concertation locale. Elles permettent en outre de bénéficier aux acteurs du territoire via les mesures agri-environnementales et les acquisitions foncières mises en gestion au conservatoire. »

Le transfert de la responsabilité écologique

Durant l’été 2012, Oc’Via, groupement d'entreprises créé par le groupe Bouygues, a remporté l’appel d’offre lancé par RFF en 2008 pour la maîtrise d’ouvrage de la construction et pour la maintenance de la ligne pendant 25 ans. Par ce montage dit PPP (Partenariat Public-Privé), les responsabilités techniques et juridiques des mesures environnementales reviennent à Oc’Via durant les 25 années du PPP, y compris les mesures compensatoires. Les compensations sont coordonnées au sein d’Oc’ Via par la structure spécialisée Biositiv, créé en 2011 pour accompagner en particulier les équipes projet de la société Bouygues dans ses démarches environnementales.

Brice Quenouille, directeur de Biositiv :
« Ce projet a bénéficié d’une concertation étroite avec les services de l’Etat qui nous ont accompagné dans notre démarche jusqu’à l’obtention des arrêtés de dérogation et qui continue aujourd'hui alors que les travaux débutent. Nous avons travaillé en bonne intelligence autour de la méthode de dimensionnement des mesures compensatoires élaborée avec Biotope. Alors que les actions se concrétisent aujourd'hui sur le terrain, une des difficultés est l'incompréhension de certains face à la nécessité de compenser sur de si grandes surfaces. Il est important de prendre le temps d'expliquer et de travailler dans une logique de partenariat avec les acteurs du territoire »

Le test d’une nouvelle méthode de calcul des équivalences écologiques

Sur la base de pratiques internationales relatives au dimensionnement des compensations, Biotope a appliqué  une méthode innovante pour établir l’équivalence écologique entre les impacts et les mesures compensatoires. Cette méthode met l’accent sur la plus-value écologique des mesures en unités de « qualité d’habitat » par hectare et par espèce, traduites en « unités de compensation (UC) ».

Par exemple, pour les 2223 hectares de surface retenue comme impactée pour les populations d’outardes, Biotope estime une compensation nécessaire de 2695 unités. Les superficies des mesures compensatoires correspondantes dépendent de la plus-value apportée par type de mesure compensatoire réalisée.

Pierrick Devoucoux, doctorant au Centre d’Etudes Biologiques de Chizé-CNRS :
« Notre participation sur ce projet a été de fournir des éléments de connaissance sur les modèles de dynamique des populations d’Outardes afin d’accompagner les services de l’Etat dans la mise en œuvre des mesures compensatoires, notamment sous la forme des MAE. Dans un travail de recherche avec des attentes des acteurs si fortes, il n’a pas toujours été facile de combiner une activité de recherche à des demandes très appliquées, cela nécessite des efforts d’adaptation des deux côtés. Nous avions proposé une approche plus axée sur les résultats (densité d’outardes avant et après MAE-RFF) que sur les moyens (nombres d’hectares à conventionner), ce qui demande un gros travail de suivi et d’adaptation des mesures pas facile à mettre en œuvre. »

Le bilan des compensations aujourd’hui : une addition qui coûte cher !

Au final, les impacts résiduels de CNM ont été estimés à 3279 unités de compensation, dont l’essentiel (95%) concerne des milieux ouverts agricoles. On peut estimer que générer autant de plus-value écologique nécessitera entre 1600 et 2100 hectares de terrains, qui devront être gérés pendant au moins 25 ans. Un « observatoire de l’environnement », composé des services instructeurs et d’Oc’Via, a été créé pour suivre les compensations menées dans le cadre du projet.  Il sera accompagné de suivis scientifiques en collaboration avec les acteurs du territoire et les laboratoires de recherche. Au final, le coût des mesures compensatoires du projet s’élève à plusieurs dizaines de millions d’euros.

Grégoire Goettelmann, chargé de mission Environnement pour Oc’Via Construction :
« Le projet CNM était complexe du point de vue de la biodiversité, mais nous avons pu anticiper les compensations grâce à l’important travail d’expérimentation mené en amont par RFF, et grâce à notre partenariat avec les acteurs locaux. La méthodologie que nous avons mise en place a demandé beaucoup de temps et de travail pour qu’elle soit cohérente et bien adaptée aux impacts du projet ; maintenant nous avons un calendrier et des objectifs précis à tenir pour la suite des compensations. Nous souhaitons mettre l’accent sur le suivi des mesures compensatoires pendant toute la durée d’engagement de 25 ans. »

L’effort d’anticipation mis en oeuvre dans ce projet, encore peu fréquent aujourd’hui, a permis d’offrir de meilleures garanties de succès aux acteurs du territoire mobilisés autour de la compensation.

les préoccupations actuelles sont aujourd’hui :
- les impacts ont-ils été bien évalués, quantifiés et les chiffres se vérifieront-ils ?
- les compensations sont-elles efficaces pour l'espèce ? sont-elles suffisantes ? sont-elles excessives ?
- pourra-t-on effectivement mettre en oeuvre ds les délais impartis toutes ces compensations ?
- comment tout cela va s'articuler avec le territoire et ses propres projets de développement (projets agricoles, agro-industriels, ZAC, etc...) ?

Luis de Sousa et Anne Pariente, chargés de mission Biodiversité à la DREAL-LR :
« Nous sommes globalement satisfaits de la conduite des compensations dans ce projet. Des efforts ont été apportés sur la connaissance des milieux et sur l’appropriation des enjeux de conservation. La méthodologie développée pour ce projet est intéressante car elle est basée sur une approche qualitative plutôt que quantitative, et elle permet d’apporter une réponse pertinente aux impacts identifiés. Toutefois, malgré l’ampleur des moyens mobilisés pour les compensations de ce projet, nous ne pouvons en connaître les résultats futurs ; ceux-ci étant tellement dépendants de l’évolution du contexte socio-économique du territoire et de la réponse des espèces aux travaux et aux mesures proposées. »

Egalement, après l’effort mis en œuvre pendant toutes ces années par les acteurs du territoire, demandant un investissement humain et financier considérable, la question qui subsiste maintenant est :

Que deviendront toutes ces compensations après 2037 ???

 

Pour en savoir plus sur le sujet des compensations

Commissariat Général au Développement Durable. 2012. La compensation des atteintes à la biodiversité, Etudes & Documents, Service de l’EEIDD, n°68, 132p. Quétier F. & Lavorel S. 2011. Assessing ecological equivalence in biodiversity offset schemes: key issues and solutions. Biological Conservation 144: 2991–2999. Regnery B. et al. 2013. Concevoir des mesures compensatoires : réalité des dossiers environnementaux et perspectives d’améliorations. Sciences, Eaux et Territoires, Hors Série. Vanpeene-Bruhier S., Pissard P.A. et Bassi, C. 2013. Mesures compensatoires des atteintes à l’environnement dans les projets d’infrastructures : de nouvelles exigences réglementaires pour une amélioration des pratiques, Sciences Eaux & Territoires, article hors-série, n°9, 7p. Regnery B. et al. 2013. Concevoir des mesures compensatoires : réalité des dossiers environnementaux et perspectives d’améliorations. Sciences, Eaux et Territoires, Hors Série. Vanpeene-Bruhier S., Pissard P.A. et Bassi, C. 2013. Mesures compensatoires des atteintes à l’environnement dans les projets d’infrastructures : de nouvelles exigences réglementaires pour une amélioration des pratiques, Sciences Eaux & Territoires, article hors-série, n°9, 7p.