Boucles de la seine normande

Le PNR se rend indispensable

 

Espaces naturels n°45 - janvier 2014

Le Dossier

Florent Bidault
chargé de mission foncier- ERC
Jean-Pierre Morvan
Directeur du PNRBSN

Le Parc naturel régional des Boucles de la Seine s’est engagé de manière active dans la démarche ERC. Dans le cadre de son projet de territoire, la charte 2013-2025, il a développé un objectif relatif à la démarche ERC, ainsi qu’une charte éthique. Le Parc est l’interlocuteur légitime des différentes parties prenantes dans la mesure où ses missions sont autant la protection des écosystèmes estuariens, que le développement économique du territoire. Ce positionnement unique parmi les Parcs, reste expérimental, comme en témoigne le dossier du pont de Tancarville, qui montre l’intérêt et parfois l’ambiguïté de cette démarche.

PNR Boucles de la Seine

© Guillaume Aubin - PNR Boucles de la Seine

En 2012, le PNR des Boucles de la Seine normande s’est investi dans un projet d’aménagement avec mise en place de mesures compensatoires. Il s’agit d’un réaménagementcomplet des accès routiers au pont de Tancarville avec déplacement de la barrière de péage de la rive droite à la rive gauche de la Seine, dans l’optique de désengorger le trafi c et d’améliorer la sécurité routière. Le projet concerne une surface de terrain d’environ 70 ha, et entraîne la dégradation voire la destruction de 12 ha de zones humides.

Plusieurs freins importants à la qualité du dossier ont alors été relevés : insuffisance de l’étude d’impact que le calendrier contraint du maître d’ouvrage ne permettait plus de compléter, et donc impossibilité de définir des mesures de compensation des impacts résiduels, faute de les avoir précisément identifiés. La condition sine qua non du Parc pour s’impliquer dans le projet était de pouvoir formuler librement des recommandations sur l’étude d’impact et sur les mesures ERC. Le cadre d’intervention a été défini par une convention de partenariat non financière, soutenu par la Dreal.

Sous la contrainte des délais réglementaires, le Parc a alors proposé au maître d’ouvrage un pari audacieux : outre la compensation des prairies humides détruites et les mesures de déplacement d’espèces protégées, il s’agissait de s’engager sur des mesures ambitieuses de restauration écologique, afi n de contrebalancer l’insuffi sance de l’étude initiale. Pour défi nir les mesures ERC sur ces milieux, il convient de replacer chaque projet par rapport à ses impacts locaux mais également et surtout vis-à-vis de l’ensemble des écosystèmes estuariens et des fonctions écologiques que l’on entend restaurer.

C’est en tout cas la ligne de conduite que le Parc s’est fi xée dans la mesure où l’estuaire de la Seine est un milieu aménagé où co-évoluent la nature et les activités humaines. Les projets peuvent détruire des milieux ou espèces patrimoniaux, mais également des espaces de nature ordinaire ou de nature dégradée, qui participent à la fonctionnalité de l’estuaire. Or, du fait de l’endiguement du fleuve, du drainage et du remembrement agricoles, et de la présence de friches industrielles polluées, les espaces de nature « ordinaire » ou « dégradée » sont très nombreux, et constituent un enjeu fort.

Dans le cas du pont de Tancarville, le Parc a donc proposé la restauration d’une filandre ; les filandres sont des chenaux transversaux à l’axe du fleuve, soumis à l’influence de la marée, et jouant un rôle important dans le fonctionnement écologique de l’estuaire. Le maître d’ouvrage a suivi le conseil et s’est engagé pour la restauration d’une filandre, malheureusement sans intervention sur la digue de Seine, principal frein hydraulique.
Par la suite, constatant ses difficultés à mobiliser du foncier pour les mesures compensatoires, le maître d’ouvrage s’est rapproché du Grand Port. Ce dernier a alors proposé au porteur du projet de lui louer des terrains jusqu’en 2026 (terme de la concession du porteur de projet) et se voit déléguer la maîtrise d’ouvrage des mesures compensatoires. Le Parc quant à lui s’assure du respect des engagements pris par le porteur du projet et de la bonne gouvernance du projet notamment vis-à-vis des associations environnementales.
C’est justement cette gouvernance autour d’ERC qui pose souvent problème. Les acteurs concernés sont nombreux, qu’ils interviennent au titre de porteurs de projet ou comme gestionnaires de terrains à des fins agricoles, mixtes ou de seule préservation du patrimoine naturel. Les différents acteurs ont en principe intérêt à coopérer, mais éprouvent des difficultés à le faire. Les porteurs de projet considèrent encore majoritairement la logique ERC comme une contrainte administrative supplémentaire.

À l’opposé, les gestionnaires d’espaces naturels sont souvent prêts à mettre en oeuvre des mesures compensatoires dès lors qu’elles sont arrêtées mais ne souhaitent pas, pour des raisons éthiques légitimes (ne pas être juge et partie), s’impliquer dans la phase pourtant essentielle de diagnostic et de définition des mesures. C’est au contraire le choix fait par le PNR. Si, dans le cas de Tancarville, le dénouement est favorable pour le maître d’ouvrage, l’accompagnement par un acteur tel que le Parc ne va pourtant pas sans poser à celui-ci des questions éthiques : peut-on garantir la non-perte nette de biodiversité ? À ce stade, c’est impossible. De même, il est difficile de juger de la prise en compte globale des impacts, ainsi que des effets cumulés. L’investissement du Parc s’est donc fait ici sans avoir de garantie de résultat. La hiérarchie de la séquence ERC a-telle été respectée ? La réponse est également négative. Le Parc aurait dû être associé dès les études de faisabilité, avant le choix des différents scénarios d’aménagement, pour pouvoir être force de proposition sur l’amont de la logique ; l’évitement des impacts.
Les spécificités écologiques des sites impactés ont-elles été respectées ? Nous pouvons répondre favorablement, car les mesures compensatoires proposées s’intègrent dans le fonctionnement plus global de l’estuaire de la Seine. Un regret demeure vis-à-vis de la prise en compte des propositions du Parc par le maître d’ouvrage, que nous jugeons  perfectible.Le bilan du respect des règles éthiques est mitigé. Il reflète les contraintes que le calendrier du maître d’ouvrage a imposées au Parc. Il convient toutefois de noter que le Parc a su imposer sa présence et son expertise pour le suivi des mesures. Sa connaissance technique et sa totale indépendance financière vis-à-vis du projet constituent autant de gages d’un accompagnement au bénéfice de toutes les parties. Il dispose de la légitimité institutionnelle et des capacités d’expertise pour accompagner les projets économiques impactant la biodiversité de façon à limiter leurs effets. Le positionnement du PNR est original car il se situe non pas en aval, mais bien en amont de la définition des mesures, et en appui des services de l’état (Dreal) pour améliorer le niveau d’exigence et garantir la pertinence des mesures retenues. La démarche n’est pas sans risque, on l’a vu. C’est pourquoi le Parc a fait le choix de s’appuyer sur une charte éthique inscrite dans la charte 2013-2025. L’exemple de Tancarville permet d’avoir une vision assez précise des avantages et des inconvénients de s’investir sur un terrain aussi glissant. Néanmoins, pour le Parc, la conclusion reste la même : sur un territoire mêlant autant d’enjeux, d’acteurs, et de projets, on ne peut pas se permettre de regarder le train passer sans rien faire. Le réalisme et le pragmatisme s’imposent.

 

Télécharger les actes du colloque organisé par le Parc : www.pnr-seine-normande.com