La recherche scientifique au service du projet de territoire
Espaces naturels n°37 - janvier 2012
Nicolas Surugue
Parc amazonien de Guyane
Gilles Landrieu
Parcs nationaux de France
Le Parc amazonien de Guyane développe des projets de recherche permettant de définir mais aussi de mettre en œuvre le projet de territoire. Aux côtés des chercheurs, les communautés d’habitants s’impliquent.
La recherche peut-elle être au cœur du partenariat entre gestionnaires d’espaces protégés, acteurs locaux et scientifiques ? Peut-elle être un outil permettant de mettre en œuvre le projet de territoire ? Une telle démarche est développée dans le Parc amazonien de Guyane. En mai 2011, les services et le conseil scientifique de cette aire protégée ultramarine ont élaboré un document stratégique intitulé « Politique de connaissance et de participation à la recherche scientifique ». Dans un contexte où l’écart culturel est important entre communautés locales, scientifiques et administrations, ce document met en perspective les objectifs, moyens et méthodes engageant l’établissement dans une dynamique durable de connaissance.
La démarche souligne la place essentielle de la recherche et permet de positionner le parc national comme un terrain d’étude où seront privilégiés les projets au service de la gestion du territoire1.
Mise en œuvre. Outre son immensité2, le Parc amazonien de Guyane est marqué par la diversité culturelle des communautés en présence. Forts de leurs ancrages historiques au territoire, Amérindiens wayana, wayãpi, teko et Noirs-Marrons aluku développent des stratégies diverses.
La zone de libre adhésion, implantée sur les lieux de vie de communautés autochtones et locales, conjugue donc des enjeux structurels, identitaires, culturels, environnementaux et sociaux.
Dans ce contexte, le document stratégique mis en place souligne l’importance de la recherche dans une approche participative.
Recherche sous conditions. Ainsi, lorsqu’ils s’attachent à répondre à des questions relevant des modes de vie, les programmes de recherche développés par le parc national imposent la prise en compte des savoirs, savoir-faire et modes de gouvernance des communautés.
Tel est le cas du programme d’étude des pratiques cynégétiques mené depuis 2009 avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et le CNRS OHM-Oyapock. Depuis avril 2011, près de quatre cents chasseurs de tous les bassins de vie exposent leurs actions de chasse à vingt-deux enquêteurs recrutés et formés parmi les populations locales. Le programme, dont l’animation est assurée sur le terrain par douze agents du parc national, permettra d’ici 2013 de mieux connaître les pratiques actuelles, les processus socio-culturels qui les sous-tendent tout en intégrant les préoccupations réciproques des acteurs.
Les chercheurs, impliqués dans toutes les phases de conception, réalisation et restitution des travaux éco-éthologiques et ethno-écologiques, apportent de la rigueur scientifique dans la formulation des questions, la stratégie d’échantillonnage, le traitement des données et l’interprétation des résultats. Ils enrichissent et aident à l’analyse du dialogue avec les chasseurs et chefs coutumiers amérindiens et noirs-marrons. Parallèlement à l’estimation des prélèvements et des densités animales menées, l’étude de pratiques rituelles collectives et l’expertise locale permettent d’aller plus loin dans la compréhension du socio-écosystème. Les pratiques fondamentales pour le maintien des identités culturelles, par exemple, sont intégrées aux travaux. Il en est ainsi du rituel marake en pays wayana ou du puubaaka pratiqué par les Aluku. Le premier est un rituel de passage, de régénération et d’alliance nécessitant le port de parures composées de plusieurs espèces protégées (singe atèle, perroquet ara, tatou géant, jaguar) ; le second vise la levée de deuil et implique la consommation de singe atèle et aussi de tortue terre et d’aïmara.
Intérêt. Pour le chercheur, l’intérêt de ce programme est bien entendu d’optimiser sa collecte d’informations, de mieux appréhender le sens culturel des pratiques et les mécanismes d’adaptation en jeu. Il trouve, dans le partenariat avec l’équipe du parc national, une contribution à la formulation des questions, l’expertise de la connaissance des agents de terrain, une contribution aux relevés et mesures, la mise à disposition d’équipements et de moyens. Cette recherche-action lui permet à la fois de vulgariser et restituer ses travaux scientifiques, et de participer au processus décisionnel.
L’intérêt pour les populations, directement associées à une recherche dont l’objet les concerne au quotidien, outre de garantir la légitimité des données et de participer à leur interprétation, est d’être à la base des décisions susceptibles d’être ensuite engagées.
L’intérêt pour le gestionnaire, destinataire des résultats, est d’assurer leur appropriation par le plus grand nombre. Éclairé sur les multiples mécanismes à l’œuvre et leurs dynamiques, il est en capacité de développer un suivi à plus long terme basé sur un protocole scientifiquement éprouvé et de pérenniser les modes de gestion.
L’enjeu est réel. Dans le cas présent, l’estimation de la pression de chasse montre que cette pratique répond majoritairement à des besoins de subsistance. Pour cela, d’avril à juillet 2011, 637 mammifères, 654 oiseaux et 196 reptiles ont été collectés lors de 419 actions de chasse dans le bassin du Maroni.
C’est pourquoi la mise en évidence et l’intégration des modes de régulation coutumiers d’accès aux ressources naturelles sont une condition de réussite du projet de territoire traduit dans la charte du parc national. •
1. Le document est développé selon cinq axes : gestion de données et restitutions • dynamiques des sociétés et territorialités • développement local durable • interactions homme-environnement • biodiversité et changements globaux. • 2. 3,39 millions d’hectares dont près de 60 % en zone de cœur.